De quoi l’amour est-il le nom en psychanalyse ? (Amour- Désir-Jouissance)
Auteur: SAKELLARIOU Dimitris
De quoi l’amour est-il le nom en psychanalyse ? (Amour- Désir-Jouissance)
Première constatation dans le ternaire amour-désir-jouissance (en ordre alphabétique en français) l’amour est le seul terme qui ne constitue pas un concept psychanalytique, voire un concept théorique tout court. Il s’agit néanmoins d’un terme universel largement répandu parmi de nombreuses disciplines : La poésie le discours philosophique s’en sont emparé ainsi que la psychologie, la sexologie, l’industrie cinématographique, le marketing etc. Nous pouvons faire le constat que la plus part de fois c’est au nom de l’amour que l’on parle sans pour autant éclairer totalement le sujet sans effacer une part de mystère. « Έρως ανίκατε μάχας » clame Antigone depuis son « tombeau » où elle se trouve enterrée vivante.
L’amour rentre-t-il dans des conceptions idéologiques ou conceptions du monde ?
Peut-être ; le plus comique semble être sa prise dans le discours scientifique qui finit par nous donner l’impression de ne pas savoir de quoi on parle. Puis reste son exclusion sa forclusion du discours du capitaliste qui met au rencart les choses de l’amour. En quoi la psychanalyse et les psychanalystes s’autorisent à parler de l’amour alors que la psychanalyse n’est pas une conception du monde et l’amour n’est pas une théorie. Pour l’expérience analytique tout a commencé dans le cadre d’une contingence : susciter l’avènement du discours de l’inconscient cela a eu pour effet de déclencher l’amour sous la forme de la passion amoureuse verliebtheit, à ceci près que Freud n’est pas tombé dans le panneau : il n’a pas mis la réaction de Bertha Pappenheim surnommée Anna O « sur le compte de son irrésistibilité personnelle » ! et contrairement à Breuer qui a réagi comme tout bourgeois moyen de son époque, face au retour de la signification refoulée. C’était un homme qui savait s’occuper des jeunes femmes séduisantes ! Mais lorsque Bertha lui attribua la « paternité » de sa grossesse nerveuse il laissera tomber sa patiente en prenant la poudre de l’escampette tout en partant avec son épouse en second voyage de noces dont un nouvel enfant naitrait au bout de neuf mois !
Freud a dit commentant l’événement, qu’« il a laissé tomber les clés du paradis ». Il n’aura ainsi jamais franchi le mur de l’inconscient.
Lacan procédera tout à fait autrement ? Outre son positionnement face à sa patiente « Aimée » allias Marguerite Anzieu qu’il soutiendra jusqu’au bout, il entreprend une longue patiente élaboration afin de donner ses lettres de noblesse à l’amour en lien avec la psychanalyse tout en prenant tous les risques. Il a bâti, construit- déconstruit-reconstruit le terme à la suite de là où Freud l’avait laissé et où les post freudiens l’ont réduit à la répétition. Le transfert et l’amour du même nom se trouve du transfert en lien avec quasiment tous les concepts fondamentaux par rapport aux quels il s’articule et se noue se dénoue et recommence. Freud déjà parlait de echte liebe véritable amour et non pas une sorte de « Canada dry », genre amour artificiel ou d’erreur sur la personne. Lacan a déjà réussi à extraire le transfert du concept de la répétition, voire reproduction d’amour infantile à l’adresse des imago parentales. Mais il ne s’arrête pas là, car il en extraira le nœud qui constitue la l’efficience même du discours analytique le Begrief essentiel du désir de l’analyste pivot de toute l’expérience et de toute transmission possible de la psychanalyse. Sa contribution est immense. Je ne m’en étais pas rendu compte à ce point, avant d’entreprendre ce travail passionnant ou j’ai failli m’y perdre dans les subtilités et les torsions les aller-retour les reprises, les équivoques voire les ambiguïtés. Cette construction tout le long d’un enseignement de plus de trente ans m’a mis devant un vaste chantier dont je n’avais, il est vrai mesuré la portée exacte. Me trouvant alors devant un nombre impressionnant de thèses, références et commentaires dont certains semblaient en contradiction les uns par rapports aux autres, j’ai décidé de limiter cette communication en la centrant essentiellement autour de deux moments significatifs de l’enseignement de Lacan le séminaire sur le Transfert où Lacan revient sur le nœud du transfert en commençant par un commentaire appuyé du Banquet de Platon, l’année même où il perd son père et le deuxième moment correspondant au très difficile séminaire charnière Encore. Pourquoi Lacan a déployé cette incalculable énergie en passant en revue une multitude d’occurrences sur l’amour en lien avec le désir et la jouissance (et non seulement) ? Sans doute pour dégager non seulement le phénomène et la structure du transfert mais aussi pour en situer l’enjeu éthique et élaborer ce que l’on appelle un « nouvel amour » auquel finalement nous n’aurions d’accès que par l’analyse poussée jusqu’au bout. Ce nouvel amour existe-t-il vraiment ? Les psychanalystes seraient ils susceptibles de s’en emparer de s’y inscrire, voire de le vivre ? Rien n’est obligatoire bien sûr ; mais ce que je peux soutenir, c’est qu’il peut s’agir d’un pari et qui peut constituer une alternative au lien social pollué par le discours capitaliste. Gageons que d’ici la fin de cette année dans le cadre de cet atelier, et pas seulement, nous pourrions nous en faire une idée plus précise.
Fonction Φ et présence réelle
L’introduction du concept du grand Φ aura lieu au cours de ce séminaire sur le transfert ce qui représente un tournant dans la dialectique du phallus au même titre que l’invention du concept d’agalma[1].
Quatre mois plus tard le 19/4/61 il va relier le phallus dans la grande affaire de l’amour et du désir. C’est « le seul signifiant qui mérite dans notre registre et d’une façon absolue le titre du symbole » parce qu’il intervient… quand manque le signifiant.
C’est à dire lorsque la question se pose : « qui suis-je », ou bien « que veux-tu ? » Il n’y a alors plus de réponse par la voie du signifiant ou du signe), mais seulement l’intervention de quelque chose qui vient marquer une présence réelle « nommons-le Φ la présence même du désir ».
Grand Phi ne rentre dans aucune catégorie (ni signifiant ni signe ni symbole)
Il ne saurait être nommé car de le nommer, le rate. Il s’agit d’un symbole innommable. Pour autant cela n’empêche pas Lacan de repérer son registre clinique, C’est-à-dire perversion. En effet si grand Phi n’apparaît que dans les intervalles de ce que couvre le signifiant, Le fétiche lié à la perversion pourra spécialement bien l’incarner, car de même que grand Phi. « Il réunit le signe, et le moyen d’action ».
Dans l’exemple clinique d’Héloïse et Abélard, une histoire d’amour parmi les plus célèbres en Occident, celui-ci fut castré par deux hommes de main de l’oncle d’Éloise, après que celle-ci soit mise enceinte. Les deux amants en réponse à la castration d’Abélard auront joué sur l’ubiquité du phallus, misé sur le phallus comme présence réellement, réaffirmant cette présence réelle par-delà la castration physique d’Abélard. Comme la fondation du Paraclet[2] l’atteste, un couteau ne saurait venir à bout de cette présence réelle. Abélard n’aura pas été châtré, Abélard sera resté phallophore[3].
Le phallus est l’unité de mesure, où le Sujet accommode la fonction petit α, soit la fonction des objets de son désir. La formule de Rattenman qui est de son cru à propos du versement des honoraires dans l’analyse, Tant de rats tant de florins n’est qu’une illustration particulière de l’équivalence des échanges singuliers de ces substitutions, de cette métonymie permanente dont la symptomatique de l’obsessionnel est l’exemple incarné.
« Le rat symbolise, tient proprement la place de ce que j’appelle φ en tant qu’il est une certaine forme de réduction de Φ, et même la dégradation de ce signifiant ».
Que rerésente Φ ? La fonction du phallus dans sa généralité pour tous les sujets qui parlent, et il s’agit d’apercevoir son statut dans l’inconscient, dans la symptomatologie de la névrose obsessionnelle cette fonction émerge (au niveau conscient) sous des formes que j’appelle dégradées. La mise en fonction phallique n’y est pas refoulée, c’est à dire profondément cachée comme chez l’hystérique. Le φ qui est là en fonction de tous les objets, comme le petit f (de fonction) d’une formule mathématique, est perceptible, avoué dans le symptôme.
Comment préciser les fonctions respectives de grand Phi Φ, et petit phi φ
Lacan a proposé d’articuler ce dont il s’agit dans la fonction Φ du phallus, en tant que cachée derrière son monnayage au niveau de la fonction φ
La présence réelle[4] et insulte à la présence réelle
Alors que veut dire le Φ ? Je le résume à désigner la place réelle en tant qu’elle ne peut apparaître que dans les intervalles de ce que couvre le signifiant ; de ces intervalles elle menace tout le système signifiant.
L’obsessionnel nous le montre en tous points des mécanismes de défense projection, ou conjurations. C’est la façon qu’il a de combler tout ce qui peut se présenter d’entre-deux dans le signifiant.
Et pourquoi ce besoin de combler l’intervalle signifiant ? Parce que là peut s’introduire ce qui dissoudrait toute sa fantasmagorie.
Dans les 25 ou 30 symptômes de Rattenmann et de tout obsessionnel vous touchez du doigt la vérité dont il s’agit.
Nous pouvons situer du même coup la fonction de l’objet phobique, qui n’est que la forme la plus simple de ce comblement. Cf. le petit Hans : le signifiant universel que réalise l’objet phobique, c’est cela et pas autre chose.
C’est à l’avant-poste, bien avant du trou, de la béance réalisée dans l’intervalle où menace la présence réelle, qu’un signe unique empêche le Sujet de s’approcher.
Ce que le Sujet redoute de rencontrer, c’est une certaine sorte de désir qui serait de nature à faire rentrer d’avance dans le néant toute création signifiante, tout le système signifiant. On touche là à ce que l’on rencontre dans le fantasme de l’obsessionnel sous la couverture de l’oblativité : « Tout pour l’autre, dit l’obsessionnel t c’est bien ce qu’il fait car étant dans le perpétuel vertige de la destruction de l’autre il n’en fait pas assez pour que l’autre se maintienne à l’existence[5] ». Le fantasme fondamental de l’obsessionnel se joue selon Lacan sur le fondement de sa propre élimination par identification du sujet au α excrémentiel[6]
Il est frappant d’entendre nombre de mères traiter leur bébé de crotte.
Pourquoi le Phallus se trouve-t-il à cette place et à ce rôle ?
Le phallus, en tant que l’expérience nous le montre n’est pas simplement l’organe de la copulation, mai qu’il est pris dans le mécanisme pervers.
‘Cela fonctionne dans le cas de l’homosexualité masculine par exemple
Le phallus se présente au niveau humain, entre autres comme le signe du désir.
C’en est aussi l’instrument, et aussi la présence mais je retiens la qualité du signe.
Un signifiant ne fait pas simplement signe à (quelqu’un) mais peut faire signe de quelqu’un, nous dit Lacan. Dans le moment pervers nous touchons à l’instance du phallus.
Que le phallus qui se montre a pour effet de produire aussi chez le $ à qui il est montré l’érection du phallus ce n’est pas une condition qui satisfasse en quoi que ce soit, à quelque exigence naturelle[7]. Cf. instance homosexuelle.
Que le phallus comme signe du désir se manifeste comme objet du désir, comme objet d’attrait pour le désir. C’est dans ce ressort que git sa fonction signifiante et c’est ainsi qu’il est capable d’opérer à ce niveau, cette zone, ce secteur, ou nous devons à la fois l’identifier comme signifiant, et comprendre qui est ainsi amené à désigner. Ce qu’il désigne n’est rien qui soit signifiable directement. C’est ce qui est au-delà de toute signification possible et nommément la présence réelle (…) pour en faire la suite de notre articulation[8].
Présence réelle et désir de l’analyste
C’est à partir de cette supposition que Lacan va élaborer le concept du
Sujet-supposé-savoir et la question du désir de l’analyste. En attendant Lacan nous dit que le problème du désir humain se situe dans un tout autre relativisme et il ajoute : « si nous devons être quelque chose de plus que le simple compagnon de la recherche du patient n’oublions jamais que le désir du sujet est essentiellement (…) le désir de l’Autre génitif à la fois subjectif et objectif[9]
Pour autant le désir vise non pas l’objet mais le signifiant. La fonction de l’analyste consiste à pouvoir remplir sa place en tant que le sujet doit pouvoir y repérer le signifiant manquant Par un paradoxe qui est celui de notre fonction, c’est la place même sur le supposé savoir que nous sommes appelés à être, (…), rien d’autre, que la présence réelle, et justement en tant qu’elle est inconsciente[10].
Comment se noue le désir et l’amour ? Pour Freud Eros est à la fois amour et désir, c’est à dire à la fois être et avoir dans la mesure où l’amour concerne l’être et le désir l’avoir. Pour Freud l’enfant aime le sein, aime sur son pot, alors que pour Lacan il n’aime pas le sein et il n’aime pas l’excrément où la personne à qui il le délivre tout simplement parce qu’aimer suppose que la différence entre avoir et être soit établie[11]
La fable lacanienne des mains qui se rejoignent est équivalente à l’effet de la présence réelle du phallus Φ, ce qui confirme sa prise en jeu dans l’amour. L’exemple de Socrate et d’Alcibiade témoignent de la façon dont ce nouage s’effectue (comme nous le verrons plus loin) Tandis que Alcibiade s’efforce d’obtenir de Socrate un signe de son désir, mais aussi puisqu’il s’agit de Φ et non pas de φ un signe de la présence réelle donc, ce signe est innommable (comme le phallus) Eh bien Socrate ne le lui donne pas. Lacan se demande à l’époque si cette atopie de Socrate ne pourrait être la même que celle d’un psychanalyste.
Un autre problème se pose qui est ceui de l’objet du désir en tant que dans la logique hégelienne, mais aussi celle de Sade, le désir conduit de la possession à la destruction de cet objet. Cet objet qui dans le fantasme incarne l’objet du désir se manifeste dans une image derrière laquelle il n’y a que manque. Lacan emploie la métaphore d’une ile comme inexplorée, et dont on n’apersçoit que les contours, contours d’un vide. C’est aussi la logique de l’agalma puisque l’objet du désir sort pas moins que «du ventre» de Socrate. Le désir en tant qu’il conduit à la destruction (cf. suicide) de l’objet convient-il à l’amour ? Peut-être dans la clinique des passages à l’acte de certains patients, les analystes en font quelques fois les frais, mais la question véritable qui se pose ici c’est dans quelle mesure l’amour peut-il intevenir dans une optique moins dévastatrice.
La thèse de Lacan est ici proche de celle de Platon : La réalisation du désir n’est pas la possesion de l’objet, mais l’émergence à la réalité du désir comme tel. J.Allouch interroge la différence entre réalisation du désir et l’émergence de la réalité du désir comme tel. En somme la remarque de J. Allouch issue à la fois de la thèse mais aussi de la pratique même de Lacan, traduit tout cela par une formule incisive disant que : «il s’agit plutôt d’obtenir l’amour que l’on obtient pas».[12]
Il en fait une approce topologique dans la mesure ou il pense qu’il s’agirait plutôt d’une place émergente, et non pas de l’objet qui, venant occuper cettte place, serait l’objet du désir réalisé.
C’est donc par l’analyse de l’affaire Alcibiade et notamment par la scène finale que Lacan a choisi de nous conduire vers un autre chemin celui de la prise en compte de la question du sujet et de l’objet dans l’amour et le désir.
Lacan associe ce qu’il appelle la déchéance de l’Autre, avec la nature de l’objet[13]. Cette thèse sur la déchéance de l’Autre est importante parce qu’elle résonne avec la proposition d’Octobre 67 sur le psychanalyste del’École six ans plus tard[14]
Ensuite Lacan revient sur la question de la surestimation de l’objet d’amour, bien repérée chez Freud. Cette survalorisation n’a rien qui rappellerait une quelconque oblativité puisque son but est, comme l’épingle Lacan, de sauver somme toute notre dignité de Sujet[15]
Nous pouvons constater au passage qu’au-delà de ces distinctions, cette vacillation de la déchéance entre amour et désir, entre autres, signale un flottement dans, ou par ce nouage même, ce qui rejoint la thèse platonicienne selon laquelle Amour et désir n’en font qu’un. Un exemple extrait du dialogue entre Socrate et Agathon : « Cet Amour dont tu parles, est-il ou non amour de quelque chose ? « Aimer et désirer quelque chose, est-ce l’avoir ou ne pas l’avoir ? Peut-on désirer ce qu’on a déjà ? ». Lacan fait remarquer ici que ce qu’on aime dans l’histoire du Banquet c’est τα παιδικά qui se conjugue au neutre pluriel ce n’est pas l’infantile mais « les choses (les êtres) d’enfants aimés ». Cet être de l’autre dans le désir n’est point un sujet : ερωμένος ou plutôt ερών. Plus loin il précise que « l’amour est articulé au manque, du fait que ce qu’il désire il ne peut en avoir que manque ». Dans le discours de Socrate qui passe la parole à Diotime, il attribue à Diotime une définition dialectique de l’amour, qui correspond bien à ce que lui a qualifié comme la fonction métonymique du désir. L’aimé serait celui chez qui le phallus et l’agalma sont également partie prenante.
La métaphore de l’amour ou substitution de places amant /aimé
Il est remarquable comment Lacan tisse le lien transférentiel analysant-analyste à partir de la position réciproque d’Alcibiade (eromenos) et Socrate (erastés) dans la fameuse scène où ils se retrouvent tous les deux à dormir ensemble. Et alors qu’Alcibiade s’attend à un signe d’amour de la part de Socrate, Socrate n’y fait rien. Il se soustrait à la position classique de l’érastes. C’est là que se produit l’effet de la métaphore de l’amour : Du fait du retrait de Socrate une transformation s’opère chez Alcibiade qui, de la position d’éromenos, il se trouve dans la position de l’érastes. Dans le cadre de la cure cela équivaudrait à la position de l’analysant qui porte la demande. (Toute demande étant demande d’amour) l’analysant va chercher un, ou des signes chez l’analyste, qui témoignent de la reconnaissance, de la prise en compte, bref il se trouve en position d’aimé par sa demande, ce qui le rend souvent très aimable comme on dit. L’analyste qui reçoit cette demande est mis à la place de l’aimant susceptible de manifester des signes d’amour du fait même de la demande. Or on se souvient que Freud prônait déjà ce qu’il appelait une règle une attitude d’abstinence. L’analyste donc à l’instar de Socrate se soustrait de l’« obligation » de cette demande. Cette attitude fait produire une transformation dans la position de l’analysant qui, de la position de l’aimé, passera à celle de l’amant, poursuivant parfois avec insistance l’analyste de ses assiduités. Freud appelle cela la manifestation de l’amour de transfert phénomène qui surgit souvent dans la situation analytique.
Socrate se trouve à la place de Σηλεινός Silène comme porteur des αγάλματα et se refuse à l’échange « des objets » contre quoi que ce soit (entre autres, la beauté d’Alcibiade.) Ainsi la métaphore de l’amour ne s’y réalise pas. Cette réalisation peut parfois advenir dans le sacrifice et la mort, comme ce fut le cas pour Achille et Patrocle. Ce refus de Socrate d’obtempérer à la demande d’Alcibiade, lui vaudra les invectives que ce dernier va lui adresser après son entrée fracassante dans la demeure d’Agathon où se trouvent les convives, lorsqu’il se présente à l’assistance presque ivre. Il vient bousculer la règle établie de l’éloge du Dieu Eros, et du convive se trouvant à la droite de l’orateur, et il décide de faire l’éloge de Socrate en se positionnant entre Socrate et Agathon. L’exigence d’Alcibiade n’est pas exempte d’une certaine position énigmatique, puisqu’il se savait aimé par Socrate. Exigence qui met en relief le mystère de l’amour autrement dit le nœud qui relie amour et désir. La position de Socrate n’en paraît pas moins énigmatique car refusant de répondre à cette manifestation amoureuse (le lien entre amour et savoir restant en suspens), du même coup ce dernier devient désirable comme un objet agalmatique.
En même temps par ce refus catégorique à se mettre dans la position d’éromène, déclarant que rien en lui n’est aimable il introduit un vide radical un ουδεν, Socrate donne ainsi une leçon sur l’amour en tant que celui-ci a finalement affaire à un savoir troué. Il avait déjà anticipé ce positionnement lorsqu’il passe la parole à Diotime dans son discours, avouant doublement qu’en matière d’amour il n’y a pas de savoir qui soit transparent, qui se sache lui-même.
Le fait qu’il s’agisse d’une femme ne fait que redoubler l’effet de ce positionnement éthique.
Lacan dira que « c’est parce que Socrate sait qu’il ne sait pas qu’il n’aime pas » Il ne s’agit pas simplement de ne pas connaître quelqu’un pour l’aimer, ça c’est le cas général, en revanche ici il s’agit du rapport de l’amour au savoir y compris sur ce qu’est l’amour lui-même. Il y a un message socratique, note Lacan : « Ni effusion, ni don, ni mystique, ni extase. » Pourtant Socrate semble dénoncer une hypothétique tromperie : « Détrompe – toi, examine les choses avec plus de soin de façon à ne pas te tromper ». Socrate « interprète » le discours d’Alcibiade en lui indiquant qu’il se trompe de cible ; car tout ce qu’il énonce à son intention ne le concerne pas lui-même, mais s’adresse plutôt à Agathon, qui vient de faire l’objet de l’éloge socratique. Agathon qui est l’hôte du Banquet est un jeune et riche « dandy » aussi beau que con (probablement du fait de s’embrouiller dans sa propre jouissance et rester ainsi figé à la place de l’objet aimable) S’agit-il pour Socrate d’une dénonciation « réaliste » de la tromperie de l’amour ? Ou bien cette interprétation vise à le conduire à suivre le chemin de son propre bien.
Le principe platonicien de l’identité de l’objet du désir avec son bien, tire en l’occurrence les choses plutôt du côté de l’idéal, c’est à dire à l’opposé de l’acte que l’on attend d’un analyste. Il n’y a au fond aucune espèce de confusion possible ici, d’autant plus que, selon Lacan, l’objet agalmatique auquel Alcibiade semble tenir coûte que coûte dans la brume de l’ivresse, ne peut que se situer au-delà de tous les biens et tout idéal[16]. C’est ce qui fait dire à Lacan que c’est Alcibiade qui est dans ces circonstances « l’homme du désir » d’un désir sans limites dans le champ de l’amour (ce qui préfigure la dernière phrase du Séminaire XI où Lacan parle d’« un amour sans limites » c’est à dire « hors des limites de la loi » (oedipienne ?) « où seulement il peut vivre [17]».
Cette scène nous met devant une sorte de leurre réciproque qui concerne également Socrate dans la mesure où lui-même semble méconnaitre la nature de l’objet agalmatique du désir. Pourrions-nous dire alors que Socrate en tant que sujet supposé savoir, a raison lorsqu’il pose un vide, un trou dans le savoir concernant l’amour, savoir qui reste exclu de faire savoir[18] (), mais il a tort dès qu’il revendique un savoir sur l’amour (ce que lui reproche Alcibiade) ne laissant aucun temps à ce dernier afin de découvrir ce vide par lui-même. Cette division quant au savoir se manifeste également à partir d’un symptôme de Socrate sous la forme d’une courbature, (symptôme survenu, selon le témoignage de Xenophon, après que le maître ait touché l’épaule nue du jeune Critobule, témoignage indiquant que l’amour présente chez Socrate « un caractère un peu instantané »)
Ainsi Socrate empêche Alcibiade « de jamais obtenir l’amour qu’on obtient pas [19]»
Il est à noter que Lacan ne parle pas ici du lien de l’amour à l’inconscient qui s’établit par le moyen du signe entre deux sujets (ce qui est différent des thèses du début de son enseignement sur l’intersubjectivité). Lacan affirme que Socrate, qui pourtant dit ne rien savoir d’autre que ce qui concerne l’amour et le désir, ignore ce que c’est que le désir de l’Autre. Le nouage amour-désir vient donc sur le devant de la scène avec cette citation de Lacan : « Car le désir dans sa racine et son essence, c’est le désir de l’Autre, et c’est ici à proprement parler qu’est le ressort de la naissance de l’amour, si l’amour, c’est ce qui se passe dans l’objet vers lequel nous tendons la main par notre propre désir, et qui, au moment où notre désir fait éclater son incendie, nous laisse apparaître un instant cette réponse, cet autre main qui se tend vers nous comme son désir. Ce désir se manifeste toujours pour autant que nous ne savons pas.
Dans toute cette longue et fine élaboration de Lacan à travers les oscillations successives n’apparait pas clairement ce qui du désir ou de l’amour est premier voire plus précisément, si l’un subsume l’autre, sans oublier que la lecture assidue et méthodique du banquet visait initialement plus qu’à apprendre ce qu’est respectivement l’amour et le désir, de se faire une idée de l’amour de transfert comme vraie amour, et de la façon dont le désir de l’analyste y répond à cette demande de l’analysant, sans répondre à la demande. Enfin il me semble qu’il faut souligner l’importance que Lacan accorde à la question de la déchéance de l’Autre en l’objet agalmatique.
Ce qui nous étonne toujours par sa pertinence c’est le choix d’un espace de fiction pour traiter ces questions cruciales. Fiction qui a la même structure que la vérité. Cette thèse lacanienne qui vérifiera encore à partir du Sém. XVIII et XX, où il est question de l’amour comme de la vérité en tant qu’ils surgissent du semblant.
La théorisation de l’objet α que l’analyste élève à la dignité du semblant en y occupant la place, déplace l’approche du côté de la question de la jouissance.
Pour le moment si nous revenons pour conclure sur le point de transposer la situation du Banquet à la situation analytique que pourrait-on déduire concernant la dialectique désir –amour, Autre-objet : Nous avons Alcibiade qui, en position d’analysant, situe bien les agalmata dans le ventre de Socrate. Un savoir supposé entre Φ et αγαλμα est localisé chez Socrate analyste fictif. Mais cela suffirait-il pour que le savoir inconscient sur son désir, qui fait déchoir l’Autre à la place de l’objet puisse lui révéler sa propre prise dans le fantasme ?
Par ailleurs notre Socrate analyste fictif se refusant de donner des signes de son désir, voire de répondre à la demande d’amour de l’analysant fictif Alcibiade, incarne par son discours la place de n’importe qui, ce qui est préconisé pour l’analyste. Ne reste-t-il néanmoins quelqu’un ? comment pourrait-il dans ce cas assumer une position de désêtre tant qu’il n’y a pas eu d’extraction de l’objet ?
Ce n’est pas tout, car l’interprétation socratique du transfert dans le cadre de la réalité (renvoi d’Alcibiade à Agathon comme objet réel de son discours enflammé) court-circuite le déplacement topologique vers l’émergence de la réalité du désir comme tel. Rappelons ici que Lacan précise, que ce n’est pas l’objet que viserait le désir qui importe, mais plutôt le signifiant grand Φ appelé à cette place vide, tout en la maintenant comme telle puisque ce signifiant annule tous les autres.
Ainsi in fine « l’analyste » Socrate ne permet pas à « l’analysant » Alcibiade d’échapper à la répétition de la demande ce qui le conduit à n’envisager la déchéance de l’Autre A en petit α autrement que sur le mode sadien, restant aliéné au désir de l’autre à qui il faudrait ouvrir le ventre pour extraire l’agalma.
Lacan préconise une alternative, seule possible permettant d’instaurer le discours analytique : « Il faut savoir remplir sa place en tant que le sujet doit pouvoir y repérer le signifiant manquant. Et donc par une antinomie, par un paradoxe qui est celui de notre fonction, c’est à la place même où nous sommes supposés savoir que nous sommes appelés à être et à n’être rien de plus que la présence réelle et justement en tant qu’elle est inconsciente. Au dernier terme, (…) à l’horizon de ce qu’est notre fonction dans l’analyse en tant que ça, ça justement qui se tait en ce qu’il manque à être. »
Revenons un instant à la thèse de Lacan concernant la chute de A en petit a. Grand A c’est l’Autre à qui s’adresse la demande d’amour, mais ce que recouvre cette demande c’est cette déchéance en α « quelque chose de la nature de l’objet ».
C’est l’amour qui dissimule finalement cette visée. Alcibiade par son discours vise la déchéance de Socrate mais ne l’obtient pas car celui-ci refuse l’amour au même titre qu’il refusait d’adresser un signe du désir sous le manteau. Deux remarques s’imposent :
Première remarque : Il n’y a pas d’amour pur c’est à dire non contaminé du désir. Deuxième remarque : c’est le statut de l’objet qui pose problème ici me semble-t-il et qui empêche de bien distinguer amour et désir. Car la première distinction de l’amour comme ayant affaire à l’être, et le désir à la satisfaction, ne me semble pas tenir, dans la mesure où Lacan dit que même le désir participe de l’être.
Il me semble en revanche que dans ce séminaire c’est le statut de l’objet en tant qu’objet α et le rapport entre le Phallus et l’objet, α qui ne sont pas suffisamment dégagés. Les choses seront éclaircies à partir du moment où l’objet α ne sera plus l’objet du désir au sens d’objet visé par, (visé en avant de… comme l’indique l’étymologie du terme ob-jet). La notion de l’objet cause du désir et ensuite l’objet plus-de-jouir prendront le relais de cette approche, tandis que le statut de l’objet sera défini comme objet aperceptif non spécularisable
De l’(amur) obstacle à la lettre d’amour
Si nous reprenons à notre compte la fameuse citation de Lacan selon laquelle « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir[20] ». Sans commenter plus avant cette thèse nous pourrions poser à minima que l’amour implique la castration. Plus précisément si nous prenons le pôle androcentrique nous dirons avec Lacan que l’amour d’une femme castre l’homme. Lacan s’interroge : comment l’aimée peut en jouer (voire en jouir ?)
Lacan : « L’Autre, entendez – le bien, c’est donc un entre, l’entre dont il s’agirait dans le rapport sexuel, mais déplacé et justement de s’autreposer [21]
Lacan : « de s’autreposer, il est curieux qu’à poser cet Autre (…) ne concerne que la femme. Et c’est bien elle qui, de cette figure de l’autre nous donne de l’illustration à notre portée, D’être comme l’a écrit un poète entre centre et absence. Entre le sens qu’elle prend dans ce que j’ai appelé c’est au moins -un où elle ne le trouve qu’à l’état de ce je que je vous ai annoncé, pas plus, de n’être que pure existence, entre centre et absence. » et il poursuit :
« Son monde de présence est entre centre et absence, entre la fonction phallique dont elle participe, singulièrement, de ce que l’au moins -un qui est son partenaire, dans l’amour, y renonce pour elle. Ce qui lui permet, à elle, de laisser ce par quoi elle n’en participe pas, dans l’absence qui n’est pas moins jouissance, d’être jouissabsence »
Voici donc l’amour, castrateur de son partenaire, et l’amour qui est bien ici l’amour, qui n’est ni le désir ni la pulsion. Sa renonciation à la fonction phallique
(Sa « castration ») entérine, cautionne, voire légitime, chez sa partenaire une certaine jouissance, sa jouissance même de s’absenter de la fonction phallique– Celle qui vaut que soit inventé un autre néologisme : Jouissabsence.
Qu’un homme réserve pareil accueil à la jouissabsence ne semble pas acquis.
Peut-être certains féministes peuvent dénoncer ce prototype androcentrique, mais Lacan répondra à leurs objections :
« Ne croyez pas que La barrée, femme ne convoque pas son « homme-moins-un » à donner corps à la fonction phallique ; mais sachez que cette plus ou moins pressante convocation peut valoir contresens si elle laisse à croire que la jouisseprésence de la femme va, sans être accompagnée de sa jouissabsence »
Jean Allouch y relève un trait de structure en lien avec la clinique de ce qu’il appelle la dureté féminine que l’on rencontre chez certaines femmes, et qui semble-t-il n’est pas fréquent chez celles qui ont choisi l’analyse. Y aurait-il une sorte de miracle qui fait évanouir cette dureté ? J. Allouch le confirme, en expliquant que cette dureté apparaît comme une réponse réactive au fait de n’avoir pas reçu la moindre reconnaissance de cette jouissabsence qui fait une femme pas – toute à la fonction phallique. Lacan, lui, parle d’hommage, terme qu’il affectionnait particulièrement[22]. Cette forme d’amour castre l’homme et lui fait ainsi rendre hommage à la jouissabsence de la femme pas-toute.
Sur la question de l’(a)mur je vais abréger l’historique du lapsus de Lacan dans son rappel des vers d’Antoine Tudal, qui présente l’amour comme obstacle au non-rapport sexuel il faut néanmoins signaler au passage que sur le plan de la topologie Lacan situe le « rond de l’amour » dans la configuration de la bouteille de Klein à l’embouchure de la bouteille, au point de rebroussement dans un schéma que l’on trouve également dans l’Amour Lacan p.265-266
Il existe selon Lacan un isomorphisme de structure entre le fait qu’un Signifiant S1 n’atteint jamais l’autre signifiant S2 auprès duquel il représenterait le sujet[23] et le fait qu’un homme n’atteindrait jamais la (une) femme et ce qui l’en séparerait serait l’amour, conformément au lapsus
L’amour peut alors se dire a- mur puisque quand même comme un mur, de langage si ce n’est du langage, il s’interpose, Il fait barrière entre L’homme et la femme. Ce pas est franchi grâce à la bouteille de Klein. Il s’agit de plus que d’un isomorphisme. Ce serait une seule et même opération que de ne pas atteindre la femme et de ne jamais atteindre S2. (: le savoir).
Lacan déclare : (…) Ça commence entre l’homme dont personne ne sait ce que c’est, entre l’homme et l’amour il y a la femme (…) et ça devrait se terminer à la fin, à la fin il y a le mur : entre l’homme et le mur il y a justement …l’amour, la lettre d’amour (…) c’est la lettre qui peut prendre d’étranges formes[24] »
Aimer à
À propos de la lettre d’amour (au sens d’épistole) Lacan déclare dans une lettre adressée à une femme qu’il a commis un lapsus calami[25]. À la faveur de ce lapsus il déclare qu’il préfère employer l’expression aimer à une femme, plutôt qu’aimer une femme (qui pour lui resonne comme battre une femme)
Encore, nom de l’amour
Séminaire charnière où Lacan condense de façon extrêmement travaillée et présentée sous une forme aphoristique un ensemble de thèses impliquant la question de l’amour en lien avec les catégories lacaniennes forgées tout le long de son enseignement dont la catégorie de la Jouissance n’est pas la moindre. La jouissance est toujours pour Lacan une instance négative[26] : » la jouissance c’est ce qui ne sert à rien ». Nous pourrions en déduire bon alors c’est fini ; rentrons chez nous. Prenons la mesure car le surmoi s’en mêle, et c’est l’impératif – Jouis ! Auquel nous avons affaire. Au-delà de ce qui en détermine l’usage si non l’exercice comme dira Lacan La philosophie (Aristote Bentham) et le Droit s’y sont employés. Résultat tous ces discours autour de la jouissance n’enserrent qu’un vide. Rien ne nous dit ce que serait la jouissance. Alors Lacan, avec la psychanalyse, s’en mêle : Lacan renvoie son auditoire par supposition au lit comme à un exercice de plein emploi, à deux, ce qui est une façon condensée de nouer amour, désir, et jouissance, autour de l’impossibilité du rapport sexuel.
Première thèse importante avec une torsion finement ciselée « La jouissance de l’Autre, de l’Autre avec un grand A, du corps de l’Autre qui le symbolise n’est pas le signe de l’amour[27] » Ce qui est caviardé dans la version du Seuil mentionne qu’elle (La Jouissance) est néanmoins la seule réponse donnée à l’amour et qui de ce fait la Jouissance reste une question, dont la réponse n’est ni nécessaire, (comme l’amour ?), ni suffisante. L’amour toujours réciproque, comme passion d’ignorance du désir (de faire un) n’en laisse pas moins toute sa portée (au désir). La jouissance est réponse insuffisante par rapport à l’amour dans la mesure ou à l’amour est incomblable, comme la faille de l’Autre, d’où part la demande d’amour, qui est sans doute demande incomblable d’être, demande encore et encore au point ou encore devient le nom propre de cette faille de l’Autre. (Cela pose la question de savoir si nommer la faille de l’Autre équivaut à la nomination de l’Autre et comment l’amour de transfert analytique peut –il conduire jusqu’à cette nomination ?) Alors d’où part ce qui est capable de façon non nécessaire et non suffisante de répondre par la jouissance du corps de l’Autre ? Ça part de l’amur[28]. Ces traces sur l’amur ne sont pas d’ordre sexuel, (ce sont des signifiants primaires, des S1 ; il y a lieu de les associer à l’opposition entre soma et germen. Le germen concerne la reproduction de l’espèce, il est immortel contrairement au soma. L’amour y trouve là une connivence mythique car l’aimant est la proie du germen.[29] Ainsi l’amour n’a pas affaire avec de l’individualité, il est éternel, ou bien êtrernel ; Cela reste toujours une affaire d’être, de rapport entre les êtres, hors sexe comme l’indique l’exemple de la perruche amoureuse de Picasso, ou plutôt de son propre accoutrement, « l’habit aime le moine c’est par là qu’ils ne sont qu’un[30] dira Lacan. La perruche s’identifiait à Picasso habillé. Cette image comme toute image ne se soutien que d’un reste, objet α, reste du corps[31] sous l’habit. Ceci est cohérent avec l’essence narcissique de l’amour, et ici Lacan tranche définitivement avec, ou plutôt contre l’idée d’amour objectal, ou anaclitique de Freud, disant que c’est du baratin qui favorise l’idée non moins saugrenue de génitalité oblative (s’offrir à l’autre) à la portée du fantasme du premier obsessionnel venu. Dans le désir ce reste est l’objet α qui le cause et le soutient. Comment ? chez l’hystérique par la modalité de l’insatisfaction et chez l’obsessionnel par celle de l’impossibilité.
En revanche l’impuissance de l’amour même s’il est toujours réciproque,[32] tient à l’ignorance. « Ignorance d’être[33] le désir d’être Un, ce qui nous conduit à l’impossible d’établir une relation d’eux. La relation d’eux qui ? deux sexes.
Pour qu’il y ait rapport il faut au minimum trois a, b, + l’élément connecteur[34]
Faut-il préciser sans doute que nous avons affaire avec deux Un, différents l’Un de la fusion (l’Unfusion), l’amour c’est faire Un (vereinigung de l’Éρος freudien) et le Un du Il y a dl’ Un défini par la faille, [35] faille qui dénote ce qui manque à l’être, et derrière l’être, à la jouissance. L’être, c’est la jouissance du corps comme tel (…) comme asexué[36] c’est à dire comme objet α être a-sexuée, jouissance qui se joue une fois dépouillés les caractères secondaires et autres traces qui ornent le corps. Par conséquent la jouissance sexuelle s’oppose à la jouissance du corps de l’Autre[37].
Pour C. Fierens[38] c’est le discours analytique qui démontre la structure de la jouissance :1) le corps (ou en-corps) est l’objet α le Sujet un peu « bête » qui ne sait, ni qui il est, ni comment cela se passe, « me » questionne, avant que «je» ne sois, et ce questionnement produit un signifiant, c’est tout cela qui produit la jouisance.
L’Un, dépendant de l’essence du signifiant, est un effet, un produit de celui-ci, comme dans le discours analytique, qui produit du S1, c’est à dire un signifiant séparé de ce qu’il signifie, (signifiant asémantique, le trait unaire ne signifie rien), du S2, du savoir. Si l’Un c’est le signifiant et l’être l’objet α, la jouissance n’est-elle pas ce qui dialectise les deux ?
Le désir d’être Un redouble-t-il le faire Un de l’amour.
Dans tous les cas ni l’amour, ni la lettre d’amour, n’ont pour signifié le rapport sexuel. Si, comme le soutient Lacan, l’être c’est la jouissance du corps comme tel : asexué, il est impossible d’établir comme tel, nulle part énonçable, l’Un de la relation rapport sexuel. Côté homme la jouissance phallique est plutôt un obstacle, car l’homme jouit seulement de la jouissance d’organe, et non pas du corps de la femme. L’impératif surmoïque Jouis ! (Devoir de jouissance), est corrélatif de la castration, révèle la faille, le trou qui existe entre jouissance du corps de l’Autre et rapport sexuel. Le paradoxe logique de Zenon[39] à propos d’Achille qui ne pourra jamais rejoindre la tortue dans sa course, bien qu’étant plus rapide (ou à cause de ce fait) … c’est parce que Briséis, n’est pas toute à lui. « La Jouissance du corps de l’Autre ne se promeut que de l’infinitude[40] » La jouissance sexuelle étant phallique (espace fermé), elle ne se rapporte pas à l’Autre comme tel (espace ouvert).
Thèse : le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante, cela vaut pour la jouissance d’un corps[41], il est la cause de la jouissance (cause formelle), mais il en est en même temps le coup d’arrêt, sa limite. Le signifiant du côté de la jouissance et le signe du côté de l’amour, indique qu’on baise avec du signifiant et qu’on s’aime avec des signes.
Lacan délimite les jouissances côté homme ce que celui-ci aborde est l’objet α cause de son désir[42] tandis que côté femme, c’est d’une « jouissance supplémentaire qu’il s’agit » cette jouissance à elle qui n’existe pas, (La, barrée) et ne signifie rien, dont elle ne sait rien, sinon qu’elle l’éprouve. C’est la face Dieu de l’Autre comme supportée par la Jouissance féminine, celle dont Lacan dit que s’il y en avait une autre, il ne faudrait pas que ce soit celle-là, mettant en série la faille la faute et la culpabilité[43] La conclusion est qu’il n’y a pas deux jouissances, mais qu’il n’y en a pas non plus qu’une. Le tableau de la sexuation n’est pas une répartition entre les deux sexes, mais un lieu d’inscription pour la sexuation, ce qui implique le parcours de l’ensemble des formules pour chacun, sans compter que côté femme il y a un dédoublement, puisque de n’être pas toute, ne la dispense pas d’avoir un rapport avec Φ (le signifiant) Nous pourrions nous référer ici à la parole d’amour, qui est déjà une jouissance, que l’on rencontre aussi bien dans le discours analytique que du côté du féminin, alors que parler d’amour, pour le discours de la science équivaut à une perte de temps. Pour autant c’est aussi la règle analytique car en disant n’importe quoi, des bétises, on rencontre la question de l’Autre. Après tout c’est de là que la psychanalyse a surgi : l’objectivation de ce que l’être parlant passe encore du temps à parler en pure perte.
Lacan se réfère à l’âme partant du concept Aristotelicien, et se demande si ce n’est pas un effet d’amour qu’il écrit hommosexuelle: l’ame, âme l’âme, est purement réciproque et ne concerne pas le sexe, mais plutôt la structure narcissique de la pulsion partielle prégéniale. (la bouche qui essaie de se baiser elle même) l’âme est étrangère, opposée au désir tout comme l’objet α est irréductible au désir. Si les femmes peuvent aussi être âmoureuses, elles aiment aussi dans leur partenaires un objet α, et se situent du côté gauche du tableau. Lacan parle dans ce cas de Υστερον (Hysteron qui signifie le terme ultime dernier) mais aussi reste, objet α, une femme aimante est essentiellement une hystérique : elle se même dans l’Autre[44] » dit Lacan
Une autre référence à Aristote est la φιλία, lien d’amour entre φίλοι, les amis, qui se reconnaissent et se choisissent. C’est une éthique horsexe y compris pour l’hystérique qui « fait l’homme »
Reste la question du rapport de l’amour au savoir inconscient. Si l’amour est affaire de signe qui au sens logique renvoie à un lien entre deux inconscients, qu’en est il au niveaudu rapport de chacun en lien avec son propre inconscient.
Alors ce nouvel amour que Lacan emble appeler de ses voeux serait-il du côté d’un lien au savoir de l’inconscient après la traversée du fantasme, la destitution subjective, et le désêtre de l’analyste ? Quel serait le statut de ce savoir particulier pour un sujet, voire pour un lien soial nouveau ? Un amour athée ?
Pour commencer cette approche il faut se souvenir que le Dieu (d’Empedocle entre autres) s’avère l’être le plus ignorant de tous les êtres puisque s’il ne connait pas la haine on se demande comment pourrait-il connaitre l’amour ?
Fabienne Guillen
notes:
[1] Séance du 21 Décembre 61 : dans la prestation d’Aristophane Platon pour la seule et unique fois « fait entrer en jeu dans un discours, et un discours concernant une affaire grave celle de l’amour, l’organe génital comme tel ».
[2] Paraclet du grec Παράκλητον renvoie à la parole du Christ lorsque celui-ci annonce à ses apôtres et disciples ce qu’il adviendra après sa mort annoncée prochainement et signifie quelqu’un qui intercède, qui est appelé à son secours, ou qui exhorte et encourage. Le Paraclet fut une abbaye de femmes construite par Héloise Abelard y fut enterré ainsi qu’Héloise
[3] Allouch Jean L’amour Lacan Paris EPEL 2009 p. 151
[4] (Homonymie avec dogme religieux cf. l’eucharistie) Exemple de phénoménologie obsessionnelle d’un cas de femme qui surimposait les organes masculins à la place de l’hostie. Surimposition de ces organes en forme signifiante à quoi ? – sinon à ce qui est de la façon symbolique la plus identifiable, la présence réelle. Il s’agit cette présence réelle de la réduire, de la briser de la broyer dans le mécanise du désir (fantasme sacrilège).
[5] Lacan J. Le transfert Sém. Séance du 15 Mars 1961 p. 241
[6] Ibid p.244
[7] Le transfert p. 307
[8] Séance du 26/4/1961 P.307
[9] Désir à la place où est l’autre, désir pour pouvoir être à cette place –et désir de quelque altérité.
[10] Le transfert p.315
[11] Ce qui logiquement ne peut avoir lieu qu’à partir de la phase phallique.
[12] J. Allouche l’amour Lacan p.155
[13] Citation de Lacan « Toute la question est de s’apercevoir du rapport qui lie cet Autre auquel est adressé la demande d’amour avec l’apparition de ce terme du désir entend qui n’est plus du tout c’est autre notre égal cette autre auquel nous aspirons c’est Autre de l’amour mais qu’il est quelque chose qui, en représente à proprement parler une déchéance–je veux dire quelque chose qui est de la nature de l’objet. » séance
[14] Remarque de J. Allouch
[15] Citation Lacan : « ce dont il s’agit dans le désir c’est d’un objet, non d’un sujet. C’est justement ici que gît ce qu’on peut appeler ce commandement épouvantable du dieu de l’amour qui est justement de faire de l’objet qu’il nous désigne, (Le prochain, donc), quelque chose qui premièrement est un objet et, deuxièmement, ce devant quoi nous défaillons, nous vacillons, nous disparaissons comme sujet. Car cette déchéance, cette dépréciation dont il s’agit, c’est nous comme sujet qui l’en-caissons. Et ce qui arrive à l’objet c’est justement le contraire, c’est à dire (…), et survalorisé et c’est tentant qu’il est survalorisé qu’il a cette fonction de sauver notre dignité de sujet. »
[16] Lacan J. Les quatre concepts fondamentaux, Seuil Paris 1973, p.230)
[17] Ibid p. 248
[18] Expression de J. Allouch L’amour Lacan EPEL Paris 2009 p.164
[19] Ibid
[20] Lacan séminaire l’Angoisse
[21] J. Lacan …ou pire séance du 8 Mars 1972 cité par J. Allouch op.cit. p.274
[22] cf. L’hommage à Marguerite Duras, qui, elle, ne semblait pas l’apprécier autant.
[23] Ce qui semble nié au dernier séminaire de Lacan la topologie et le temps : Le S2 ne représente pas le sujet.
[24] J. Lacan …ou pire, séance du 3 Fév1972
[25] « Aimer à quelqu’un moi ça m’a toujours ravi je veux dire que je regrette de parler une langue on dit je t’aime une femme, Comme on dit je la bats. Aimer à une femme ça me semblerait congru. Sainement. Quand jour je me suis aperçu que j’écrivais tu ne sauras jamais combien je t’ai aimé. J’ai pas mis le fin ce qui était lapsus une faute d’orthographe si vous voulez, Incontestablement. Mais c’est en y réfléchissant justement que je me suis dit que Je suis j’ai écrivais ça comme ça c’est parce que je devais se sentir j’aime à toi bon mais enfin, c’est personnel. »
Dans la fameuse phrase de Paul Valery citée par Lacan nous avons cette double négation : Je suis à la place d’où se vocifère que « l’univers est un défaut dans la pureté du Non Être »
[27] J. L. Séminaire Encore version Seuil Paris 1975 p.11
[28] (Il faut effacer la phrase « ce n’est pas l’amour » qui n’existe que dans la version du Seuil.)
[29] Jean Allouch op.cit. p.299
[30] Encore p.12
[31] Corps qui ne correspond à aucune réalité biologique.
[32] Son essence narcissique fait croire que celui ou celle que j’aime, m’aime
[33] Version de ALI qui diffère de celle du Seuil
[34] Encore p.12-13
[35](Comme l’opération qui introduit les nombres entiers à partir l’ensemble zéro de Frege qui compte pour un et qui fonde la série)
[37]C. Fierens lecture de Encore
[38] Ibid. p. 34-35
[39] L’espace compact est un espace fermé Achille et ses petites expériences phalliques en deçà du rapport se situe toujours à l’intérieur d’une limite Lacan : sur un nombre fini d’ensembles il en résulte que l’intersection existe en un nombre infini (
[40] Encore p.13
[41] Jouir du corps est un génitif qui indique que c’est l’Autre qui jouit Encore p.26
[42] Ce qui indique l’impossibilité de jouir du corps de l’Autre : L’acte d’amour c’est la perversion polymorphe mâle cf. le discours freudien Encore p.68.
[43] Remarque de C. Fierens in Lecture de Encore p.169
[44] Elle joue sa partie côté masculin avec la coalescence du α et du S (A barré)