Introduction
Auteur: BREGOU Georgette, SEGUIN Hélène
Introduction
G.Brégou & H.Seguin pour La mise en commun, Toulouse le 10 octobre 2020
Ce travail est le fruit du confinement. Nous l’avons commencé dans ce moment particulier et nous avons multiplié les échanges autour du Séminaire sur le Transfert tenu par Lacan en 1960 / 61. Nous l’avons poursuivi jusqu’à ce jour et il n’est qu’une introduction, comme l’indique son titre, à notre questionnement. Nous attendons de cette mise à ciel ouvert des éclairages, des enrichissements, un pas de côté.
En 1954 dans son Séminaire intitulé Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Lacan fait intervenir Jean Hyppolite sur la « Verneinung » de Freud, texte de 1925 qu’Hyppolite traduira par la « dénégation ». Freud y traite des premières symbolisations.
Au congrès de Bonneval sur l’Inconscient, en 1960, Lacan présente « Position de l’inconscient », texte où il reprend ces questions et amène les catégories d’aliénation et de séparation pour rendre compte des opérations concernant la symbolisation primordiale. Le texte sera remanié et publié en 1964, année de son séminaire sur les 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse.
Dans cette onzième année du séminaire, Lacan reprend cette question à partir de la théorie des ensembles en mathématique. Il range l’aliénation sous la forme logique de la réunion de 2 ensembles, la séparation sous la forme de l’intersection. Il s’agit toujours de rendre compte de la façon dont le langage affecte tout être humain et dont chacun s’y assujettit. Cette formalisation concerne la relation du sujet à l’être et la relation du sujet à l’Autre. Plus généralement, elle traite des relations entre le champ du vivant pulsionnel et le champ de l’Autre, comme champ du signifiant et de l’inconscient, selon la lecture qu’en fait Ch.Fierens en 2010 ( Lecture des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse p.193 à 218 ).
On se situe dans le rapport de l’infans au monde, un rapport d’indifférenciation primitive. Nous sommes dans un temps mythique de constitution du sujet, pour Freud : pas de partition dedans / dehors, elle est à construire. Comment se constitue l’espace psychique ?
Dès sa naissance, le nouveau-né est pris dans un bain de langage et il fait l’objet de soins maternels.
Nous avons deux champs, celui du sujet et celui de l’Autre.
Le champ du sujet se divise en deux : le sujet et l’être, du fait du langage.
L’Autre A se divise en, d’une part le lieu du signifiant, d’autre part l’Autre primordial, présence vivante assurant les soins au nouveau-né et dont on espère qu’elle est désirante. C’est par là que l’objet du besoin peut se subvertir en symbole d’amour, par sa négativation, ce qui prélude à la valse métonymique des objets, d’autres pouvant venir à cette place maintenant évidée. Les soins maternels vont découper sur le corps des zones érogènes présentant une structure de bord où viennent se loger les objets de la pulsion.
L’amour et la pulsion sont là ouvrant deux champs différents
Comment Freud représente-t-il l’appareil psychique?
Toute sollicitation extérieure, ou intérieure produit une tension et il appelle Ich, Moi primitif, le premier appareil psychique, champ d’enregistrement des perceptions internes et externes sources de tensions. Là, se situera le Real-Ich, Moi réel, qui régule ces tensions en veillant à l’homéostase. Nous sommes sous le registre du Principe de Plaisir.
Freud sépare les pulsions partielles et l’amour, qu’il ne met pas dans le même champ. Seules sont sexuelles les pulsions partielles à ce moment-là. Pour Lacan « l’amour ça vient du ventre, c’est miam-miam ». ( Sem.XI p.173 ). C’est le champ du narcissisme. Freud fonde l’amour au niveau du moi primitif (Ich), avant que les pulsions partielles ne s’approprient ses champs. La première identification freudienne se situe là. Lacan suivant Freud l’explicite : (cf Séminaire l’Identification p.63 édition de l’A.L.I.) « l’identification de la première espèce, celle singulièrement ambivalente qui se fait sur le fond de la dévoration assimilante » et p.231 du Séminaire XI éd. du Seuil : «… le trait unaire (( 2ème identification )) n’est pas dans le champ premier de l’identification narcissique, auquel Freud rapporte la première forme d’ identification _ que, très curieusement d’ailleurs, il incarne dans une sorte de fonction, de modèle primitif que prend le père, antérieur à l’investissement libidineux lui-même sur la mère _ temps mythique assurément ». Quelques lignes plus loin il indique où se situe cette première identification : dans « le champ du Lust, c’est-à-dire dans le champ de l’identification primaire narcissique ». Ce champ du Lust c’est celui de l’amour.
L’amour suppose une autre structure que la pulsion. Lacan, à la suite de Freud, divise cette structure en trois niveaux :
1°_ Au niveau du réel : ce qui intéresse / ce qui est indifférent, moment de surgissement et de répartition des stimulations. C’est là que le Réal-Ich, Moi réel, filtre la stimulation et la répartit dans l’appareil nerveux. C’est un fonctionnement auto-érotique où sont en jeu les pulsions de conservation. Le narcissisme, pour Lacan, s’insère à ce niveau dans l’auto-érotisme. Ce Moi réel est régi par le principe de plaisir, soit l’homéostase, maintien des tensions à un niveau minimum.
2°_ Au niveau de l’économique, le Lust-Ich, Moi plaisir, est l’instance qui va opérer la différenciation entre plaisir et déplaisir. Le Lust est un objet de plaisir miré dans le Ich, Moi primitif. Cet enregistrement des perceptions internes et externes se fait de façon passive. Le Lust-Ich, Moi plaisir, opère le tri parmi ces perceptions entre agréables et désagréables et se satisfait de l’objet agréable : le Lust-Ich devient alors le moi plaisir purifié de tout ce qui ne convient pas au plaisir.
Le premier jugement de cette instance est un jugement d’attribution : « je prends en moi l’agréable / j’expulse hors de moi le désagréable ».
Ce champ des objets satisfaisants (Lust-Ich) se distingue dans le champ du Ich, Moi primitif, ce Moi primitif se sépare d’un reste l’Unlust, l’objet étranger, celui qui est « bon à connaître », hassen (détesté), qui se situe dans le champ de la connaissance.
A ce niveau, il n’y a pas trace de fonctions pulsionnelles, hormis les pulsions de conservation du Moi primitif. On est toujours dans le champ de l’amour et du narcissisme.
Ce premier jugement s’articule à partir d’une Ausstossung primordiale, expulsion sur laquelle se fonde la première Bejahung, affirmation, soit « garder et / ou prendre à l’intérieur ». La Bejahung est l’équivalent de l’unification, c’est le fait d’Eros, selon Freud. Lacan, dans sa réponse au Commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung précise que : « La bejahung est la condition pour que du réel quelque chose vienne à s’offrir à la révélation de l’être » (p.388 des Ecrits).
Tout dans le monde où se trouve plongé l’infans n’a pas été soumis à la Bejahung primordiale et reste inorganisé au sens du principe de plaisir : cela constitue le Réel.
Peut-on penser deux sortes d’appréhension du Réel, l’une où il a été exclu de cet appareil psychique mais dont une partie reste là, en témoignent les hallucinations, l’autre où aucun jugement n’a été porté sur lui et qui reste dans la zone d’indifférence primitive ?
3°_ Au niveau du biologique, activité / passivité (aimer / être aimé).
Il y a réciprocité dans l’amour entre aimer et être aimé.
C’est à ce niveau que la sexualité exerce son activité propre via les pulsions partielles. La structure des pulsions ne fonctionne pas sur le mode de la réciprocité. Il y a trois temps dans le circuit pulsionnel, par exemple « voir, être vu, se faire voir ». L’important est « se faire voir », c’est là que se trouve le sujet. C’est la mise en jeu d’un acte qui échappe au savoir et à la signification, il concerne le réel et la répétition (cf la perversion). Il n’y a qu’activité dans la pulsion selon Lacan.
Ce troisième niveau est régi par le principe de réalité fondé sur le jugement d’existence.
Si le jugement d’attribution peut se situer dans le champ régi par le principe de plaisir, le jugement d’existence se démarque de ce champ. Jean Hyppolite dans son commentaire donne une idée de la spécificité de celui-ci par rapport au jugement d’attribution :
« Ce qui est à l’origine du jugement d’existence, c’est le rapport entre la représentation et la perception…le sujet reproduit sa représentation des choses de la perception primitive qu’il en a eue. Quand maintenant il dit que ça existe, la question est de savoir (non pas), si cette représentation conserve encore son état dans la réalité, mais s’il pourra ou ne pourra pas la retrouver. Ce dont il s’agissait dans le jugement d’attribution c’est d’expulser ou de prendre à l’intérieur. Dans le jugement d’existence, il s’agit d’attribuer au moi ou plutôt au sujet, une représentation à laquelle ne correspond plus, mais a correspondu dans un retour en arrière, son objet ; ce qui est ici en cause, c’est la genèse de l’intérieur et de l’extérieur. » (Commentaire de J.Hyppolite , Ecrits p.885)
Il s’agit de se prononcer sur l’existence ou la non existence de l’objet dont l’image (vorstellung ) a été gardée dans le lust-Ich. L’infans peut-il retrouver l’objet satisfaisant à la place où il peut s’en saisir ? Quelles sont les conditions de ces retrouvailles ?
Le premier objet satisfaisant ne sera jamais retrouvé tel quel, ce qui en fera un objet perdu. Ce sera le sort de tous les objets du fait de leur passage par la représentation de choses (1ère négativation), puis de mots (2ème négativation).
Qu’en est-il maintenant de l’entrée dans le langage ?
Lacan, dans le Séminaire XI et dans Position de l’inconscient (Ecrits p.829 et suivantes), en précise les coordonnées. Deux champs sont distincts : celui de l’Autre comme lieu de la parole, trésor des signifiants, et celui du sujet à venir, que l’on peut spécifier comme le champ du vivant pulsionnel. Deux processus entrent en jeu : Aliénation et Séparation.
L’aliénation
L’aliénation fonctionne sous le mode d’un vel, soit d’un choix à faire du type « la bourse ou la vie », ce qui inscrit une perte obligatoire. Si on choisit la vie on perd la bourse, mais si on choisit la bourse, on perd les deux, soit d’un côté la perte de l’une des deux possibilités, de l’autre la perte radicale des deux. Cela fait de ce choix un choix forcé.
Par l’aliénation l’infans s’assujettit au langage, soit au champ de l’Autre. Le signifiant S1 est dans l’Autre d’où il est adressé au sujet. Ce S1 quand il est entendu par le sujet devient S2, différent de S1 car, du fait de la structure du signifiant, A est différent de A. Lacan précise dans le Séminaire l’Identification p.52 « c’est dans le statut même de A qu’il y a inscrit que A ne peut être A ». Il en donne un exemple dans le Séminaire XI p.190 : » …ça saute aux yeux que le mot obsolète en tant qu’il peut signifier que le mot obsolète est lui-même un mot obsolète, n’est pas le même mot obsolète d’un côté et de l’autre ».
Un signifiant ne fonctionne jamais seul dans le langage, il en faut deux. Le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant : il y a donc trois éléments, S1, S2 et s, le sujet. Lacan inscrit ce vel dans la forme logique de la réunion qui est un ensemble comprenant tous les éléments de S1 et de S2. Le sujet se reconnait en S1, signifiant venu de l’Autre où il trouve un sens qui ne recouvre pas son être. Du fait d’être en S2, le signifiant écouté, il perd sa place en S1.
Le signifiant binaire, S2, divise S1 où le sujet était représenté. Si le sujet se range sous le sens, (S1), il perd sa part d’être, qui tombe dans le non-sens. Le sens, comme l’être, sont écornés de cette partie. S’il choisit l’être, le sujet tombe dans le non-sens. Quels que soient les termes de l’opération : sens, être ou sujet, le principal c’est la perte assurée d’une des parties, qui dépend du choix du sujet, et tombe dans le non-sens. Dans les deux cas, le vivant comme l’Autre du signifiant se trouvent écornés.
Le S2 perdu dans cette opération est le vorstellung reprasentanz freudien et va constituer le refoulement originaire qui met en place l’inconscient. La perte de ce premier S2 crée le vide nécessaire à la circulation des signifiants.
Cette opération se conclut par l’aphanisis du sujet, soit ce moment où il n’est plus représenté dans le langage puisqu’il manque le signifiant disparu S2. C’est un moment d’évanouissement du sujet. Ce moment est nécessaire à la constitution du sujet divisé. Dans cette opération de subjectivation, le sujet perd une part d’être que Lacan représentera par petit a, et le champ de l’Autre perd également un signifiant. La division du sujet ne se réalise pas systématiquement, nous y reviendrons.
La séparation
L’aliénation menée à son terme est le moment d’évanouissement du sujet . Maintenant qu’il s’est assujetti à la chaîne signifiante, comment peut-il se libérer des effets aphanisiques du signifiant ?
Par quels processus opère la séparation ?
Lacan met cette opération sous la forme logique de l’intersection, ensemble des éléments communs au sujet et à l’Autre. Cet Autre-là n’est pas l’Autre comme lieu du signifiant mais l’Autre vivant qui porte la parole.
Si, dans l’aliénation le sujet perd une part de son être, dans la séparation il a affaire à un manque dans l’Autre.
Le sujet va se repérer dans l’intervalle entre les signifiants de l’Autre, là où se glisse le désir de cet Autre, là où il n’y a pas de signifiant susceptible d’épingler ce désir. Ce manque dans l’Autre n’est pas un vide puisqu’il y trouve la présence énigmatique d’un désir. Il se saisit de ce manque et y « apporte la réponse du manque antécédent, de sa propre disparition, qu’il vient ici situer au point du manque aperçu dans l’Autre. Le premier objet qu’il propose à ce désir parental dont l’objet est inconnu, c’est sa propre perte_ « Veut-il me perdre ? Le fantasme de sa mort, de sa disparition, est le premier objet que le sujet a à mettre en jeu dans cette dialectique, et il le met en effet (…) ne serait-ce que par l’anorexie mentale ». (Séminaire XI)
Par-là, il comble sa propre faille, opère avec sa propre perte, ce qui le ramène, par un effet de torsion, au premier temps de l’aliénation. Deux manques se recouvrent.
La séparation est une opération d’engendrement du sujet.
C’est dans cette opération qu’il se relie aux coordonnées de l’objet petit a du désir de l’Autre.
Maintenant il a acquis l’intervalle signifiant, ce qui permet tout le jeu du langage, et il est en lien avec le désir de l’Autre. On sort de l’aliénation et de ses effets aphanisiques par le désir.
Ces opérations traversent toutes les structures psychiques. Elles marquent le mode d’assujettissement de chacun à la structure langagière. La réussite ou les ratés dans leur effectuation indiquent la façon dont chaque parlêtre se défend de la mortification par le signifiant.
Que se passe-t-il si l’aphanisis ne peut se réaliser ?
Des accidents dans l’effectuation de l’aphanisis
Lacan nous indique, en suivant Freud, trois modes de défense :
– le refoulement porte sur les signifiants et fait passer à l’inconscient les signifiants refusés, les coupant de l’affect. Ce mode de défense suppose un sujet divisé.
– la forclusion où un signifiant n’a pas été affecté par la Bejahung et donc pas reconnu, il est exclu définitivement du système signifiant et ne peut reparaître que dans le Réel. La division subjective n’est pas réalisée.
– le démenti porte sur la perception et concerne le jugement d’existence : cela existe et, en même temps cela n’existe pas. Freud parle de clivage du moi pour rendre compte de ce mécanisme qui isole, dans le sujet, deux lieux qui ne sont pas liés entre eux, où il n’y a pas d’association entre la perception et le réseau signifiant. D’un côté la perception est reconnue et acceptée, de l’autre elle est désavouée, non reconnue.
Ici le sujet n’est pas divisé. Pierre Bruno, pour rendre compte de ce mécanisme, propose le terme de « scission » (cf Lacan passeur de Marx). Prenant l’exemple de Jekill et Hyde et de Jeanne Dark et Mauler, il note qu’il s’agit de « couples qui font un et pour lesquels la scission entre les deux empêche la division de chacun, c’est à dire une dialectique acceptée de relation à l’inconscient » (p.58) . Ce n’est pas un sujet divisé mais ce sont deux entités séparées qui ne se retrouvent jamais ensemble. Ils ne sont pas divisés parce qu’ils sont le même. Jekill, comme médecin est en S2, côté savoir inconscient, Hyde en S1 côté pulsion. Le sujet se trouve coupé de son inconscient selon Bruno.
Quand l’aliénation est effective, il y a division subjective, le refoulement peut opérer. Mais Lacan signale des situations où l’aphanisis ne se réalise pas, il précise que cela se passe dans la psychose et dans les phénomènes psychosomatiques.
Pour la psychose, il explicite qu’il y a prise en masse de la chaîne signifiante primitive, pas d’espace entre S1 et S2 (holophrase), ce qui interdit l’ouverture dialectique. Il n’y a pas de phénomène de croyance comme dans la névrose, mais, soit une incroyance fondamentale comme dans la schizophrénie, soit une certitude comme dans la paranoïa. Dans les deux cas, un des termes de la croyance manque, le sujet n’est pas divisé.
La question du phénomène psychosomatique Lacan l’aborde dans le Séminaire II, leçon du 6 janvier 1955, dans le Séminaire XI, leçons des 3 et 10 juin 1964, et dans la conférence de Genève sur le Symptôme en 1975.
Dans le Séminaire II, il précise, en réponse à des questions : « Si quelque chose est suggéré par les réactions psychosomatiques en tant que telles, c’est bien qu’elles sont en dehors du registre des constructions névrotiques. Ce n’est pas une relation à l’objet. C’est une relation à quelque chose qui est à la limite de nos élaborations conceptuelles (…) _ je vous parle du symbolique, de l’imaginaire, mais il y a aussi le réel. Les relations psychosomatiques sont au niveau du réel. » (p.120 et 121). Et il rappelle que « le réel est sans fissure » : il n’y a ni intérieur, ni extérieur.
Hypothèse : pourrait-on en déduire qu’elles se situent à ce premier niveau de structuration de l’amour où s’inscrit la partition entre « ce qui intéresse et ce qui est indifférent » ?
Il ajoute une distinction avec ce qui se passe pour les pulsions où se différencient la source et l’objet. « Au contraire, quand il s’agit des investissements appelés auto-érotiques, nous ne pouvons pas distinguer la source et l’objet. Nous n’en savons rien, mais il semble que ce que nous pouvons concevoir, c’est un investissement sur l’organe même. »
Dans le Séminaire XI, il déplie le phénomène psychosomatique selon trois axes :
1° il n’ya pas aphanisis du sujet donc S2 ne remplit pas sa fonction de division de S1. Que devient-il ?
Hypothèse : pourrait-on envisager que S1 et S2 ne fonctionnent pas comme des signifiants mais seraient des restes de la lalangue, constituant la « motérialité » de l’inconscient. Cet inconscient serait alors conçu comme « un savoir sans sujet » où les signifiants ne seraient pas structurés en langage, mais appareilleraient la jouissance ?
L’inconscient aurait deux faces : l’une langagière d’un côté, l’autre comme réservoir des signifiants de la lalangue inorganisée ?
2° le chaînon désir est maintenu, il s’agit du désir de A, ce qui suppose que l’écart S1-S2 existe et qu’il est perçu par le sujet. Cet écart fait-il énigme ?
3°le lien se fait entre désir de l’Autre et besoin du sujet : « c’est dans la mesure où un besoin viendra à être intéressé dans la fonction du désir ». Nous traduisons : le désir de l’Autre viendrait faire coupure chez le sujet dans « l’organisation organique d’un besoin ».
Est-ce à dire que l’objet satisfaisant n’a pas été négativé ?
Y a-t-il eu transformation en don d’amour ?
Hypothèse : A l’absence d’aphanisis du sujet répondrait l’absence de négativation de l’objet satisfaisant. Les signifiants primordiaux de la lalangue viendraient indexer ces objets satisfaisants, ne les coupant pas de la jouissance du corps. Si la négativation de l’objet du besoin ne s’est pas effectuée, le sujet ne peut faire jouer la métonymie signifiante, pas plus que sa propre perte symbolisée, il lui reste le corps comme surface d’inscriptions des réponses à l’Autre. C’est ce qu’il met en jeu face au manque perçu dans l’Autre, revenant de façon itérative à l’opération ratée dans l’aliénation.
Le corps comme surface d’inscriptions nous renvoie à la conférence de Genève en 1975 où Lacan range le phénomène psychosomatique dans le registre de l’écrit :
« C’est de l’ordre de l’écrit (…) nous ne savons pas le lire (…). Tout se passe comme si quelque chose était écrit dans le corps, quelque chose qui est donné comme une énigme ». (…) « le corps considéré comme cartouche, comme livrant le nom propre » en référence aux hiéroglyphes.
« Le corps dans le signifiant fait trait, et trait qui est un Un (…). C’est autour du trait unaire que pivote toute la question de l’écrit. (…). C’est toujours d’une configuration du trait qu’il s’agit. (…) La question devrait se juger au niveau de _ quelle est la sorte de jouissance qui se trouve dans le psychosomatique. (…) Si j’ai évoqué une métaphore comme celle du gelé, c’est bien parce qu’il y a certainement cette espèce de fixation. Ce n’est pas pour rien non plus que Freud emploie le terme de fixierung _ c’est parce que le corps se laisse aller à écrire quelque chose de l’ordre du nombre. (…) C’est par la révélation de la jouissance spécifique qu’il a dans sa fixation qu’il faut toujours viser le psychosomatique. C’est en ça qu’on peut espérer que l’inconscient serve à quelque chose. (…) Le psychosomatique est, dans son fondement, profondément enraciné dans l’imaginaire. »
Pourrait-on dire qu’il se situe à ce joint du Réel et de l’Imaginaire ?
Quel mode de défense pour endiguer ou contenir ces phénomènes? Le démenti semble le plus efficace :
il ne présuppose pas l’aphanisis
il isole chaque signifiant, S1 coupé de S2, les scindant, ce qui empêche la division de S1 par S2, donc les signifiants ne font pas chaîne, mais ils sont présents tous les deux.
(il y a coupure des affects.)
Si on se trouve face à un démenti, alors :
sur quelle perception porte-t-il ? (Castration ? Mort ? « réel de la jouissance mauvaise du sujet » selon l’hypothèse de V.Sidoit à propos du génocide khmer rouge in Psychanalyse n°36 ?)
De quelle sorte de démenti s’agit-il ? Démenti du sujet ? Démen-ti du réel ( cf Psychanalyse n°32 P.Bruno,)? Démentti généralisé ( H.Rey-Flaud « je ne comprends pas de quoi vous me parlez » et Psychanalyse n°32) ?
Par ailleurs V.Sidoit apporte un éclairage intéressant sur la question du démenti comme solution au trauma ( cf ses deux articles concernant le génocide cambodgien, l’un dans Psychanalyse n°33, l’autre dans le n°36). Isabelle Morin, dans Psychanalyse n°11 reprend la question du démenti chez les dirigeants nazis. Nous signalons le n° 40 de la même revue consacré en partie au démenti.
Poser qu’il y aurait un démenti n’indique en rien comment le lever. Nous pensons que la cure analytique peut opérer cette levée suivant en cela l’indication de Lacan.
Autant dire que ce travail est un morceau d’un « work in Progress » qui ne peut se conclure à ce jour et nous pousse à poursuivre.