Fonction du Symptôme et réalité psychique dans la psychose
Auteur: SAKELLARIOU Dimitris
Fonction du Symptôme et réalité psychique dans la psychose
Folie, réalité, psychose.
La folie a toujours intrigué les hommes depuis l’antiquité, provoquant des réactions étranges entre peur et fascination pour ces esprits affranchis et indomptables dans le formatage conventionnel de la pensée. Dans l’antiquité on s’est essentiellement intéressé à la mélancolie et à sa corolaire la manie, deux formes opposées d’un mal lié selon les explications de l’époque à la circulation lente ou bien rapide des humeurs. Il est frappant d’ailleurs de constater que les états dits bipolaires épinglés par une certaine psychiatrie contemporaine soient directement en continuité directe par rapport à une approche aussi empirique presque naïve. Il faut attendre le XVIe siècle en plein temps tourmenté de la reforme pour voir apparaître un traité intitulé Éloge de la folie écrit par un chrétien humaniste amateur helléniste qu’était Érasme. Avec Lacan sans parler d’éloge l’homme se retrouve toujours face à sa propre folie, que celle-ci fasse partie de la normalité ou non ; elle est une partie constituante de l’être humain. Quelle est la cause de la folie ? C’est le langage répond Lacan. « C’est par le langage que l’homme est happé à s’aliéner dans des identifications qui peuvent se présenter comme une stase de l’être avec un caractère sans médiation et « infatué »1.
C’est là que l’homme est pris dans une méconnaissance foncière et qu’il se prend pour ce qu’il croit être. Il convient de remarquer que si un homme qui se croit roi est un fou, un roi qui se croit un roi ne l’est pas moins. »2 C’est également le cas pour un père qui se croit être le père, c’est a dire qui se nomme par lui même. Et bien s’il ne sombre dans la folie lui-même sa progéniture peut ne pas y échapper à l’instar de Moritz Schreber père du célèbre président immortalisé par l’étude de Freud qui en a fait un paradigme de la paranoïa. Lacan relie donc le risque de la folie à l’attrait des identifications. Pour autant celui qu’on qualifiait d’aliéné Lacan le qualifie d’homme « libre » : « Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle soit pour la liberté « une insulte », elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait pas en lui la folie comme la limite de sa liberté. »3 Il ne faut certes pas confondre folie et psychose pour plusieurs raisons : tout d’abord parce que la folie n’et pas l’apanage de la psychose il y a de la folie qui n’a rien à envier à la folie psychotique. Il y a même de la folie systémique incommensurable lorsqu’on mesure les effets sur l’humain et son environnement du système capitaliste à commencer par le système financier.
Mais il y a aussi une confusion à éviter entre psychose et folie car la psychose est une des modalités d’assujettissement qui concerne un pourcentage important de la population tandis que la folie psychotique correspond à un pourcentage bien moindre. Il convient de préciser également que nous ne parlons pas de tous les sujets qui se débâtent avec une psychose, mais bien de ceux qui arrivent par des biais divers à s’adresser (où être adressés) à un psychanalyste ce qui limite considérablement le nombre. Enfin pour clore ces remarques préliminaires générales j’ajouterai que malgré la littérature abondante sur le sujet de la folie en général et de la psychose en particulier je soutiens que notre savoir sur cette question reste malgré tout particulièrement modeste. C’est donc avec l’humilité qui est de mise face à cette énorme question que je souhaite vous faire part à la fois de quelques points de thèse qui me paraissent décisifs dans l’entreprise freudienne et dans l’enseignement de Lacan mes aussi vous faire part de quelques apories qui sont miennes à partir d’un travail toujours en chantier toujours en works in progress pour reprendre cette expression d’un des psychotiques illustres en la personne de Joyce que Lacan articula au nom de symptôme comme s’il s’agissait d’un prédicat associé à ce nom propre chose qui ne me semble pas aller de soi au premier abord. J’ajouterai volontiers que l’approche freudienne si précieuse fut tout d’abord celle d’un texte autobiographique dans une mise en équivalence par rapport à la parole d’un analysant que Schreber ne fut pas réellement. L’étude de Freud n’en reste pas moins un texte exemplaire qui se lit à la fois comme un texte clinique, mais aussi comme un précis du fonctionnement de l’inconscient et de la structure en recentrant davantage sur l’examen et la construction du délire et c’est sans doute la partie la plus précieuse de ce travail dont nous n’avons pas fini d’extraire des pépites d’enseignement. Et dernier remarque à caractère général afin de vous faire part d’un paradoxe que je rencontre chaque fois que je travaille sur des questions concernant les psychoses : d’une part rien ne se laisse approcher sinon définir de la même façon que pour les autres modalités d’assujettissement (névrose perversion) lorsqu’on parle par exemple de réalité de symptôme ou de fantasme, et en même temps nos assistons à une remise en question fondamentale justement de ces concepts voire d’un fondement qui s’avère plus radical que ce que l’on aurait pu penser. Je voulais poursuivre avec l’examen de la question de la réalité et nous verrons peut-être comment se vérifie cette dernière assertion dont je me suis entretenu avec vous.
Psychose et Réalité.
Nous pouvons dire qu’il est une intuition pour ne pas dire une conception largement partagée que le sujet psychotique rencontre quelques problèmes dans ses rapports avec la dite réalité. J’essaierai de montrer que c’est plutôt l’inverse qui se produit avec le psychose nous sommes obligés de refonder entièrement ce concept de réalité dont on aurait du mal à en faire une catégorie, tellement il est relatif voire assez insaisissable si on ne se laisse pas berner par l’usage général qui en est fait car qu’est-ce qu’on nomme réalité ? Est-ce ce qui tombe sous nos sens ? Est-ce ce qui s’appelle réalité objective et qui est mesurable par la science ? Est-ce ce qui nous permet de nous orienter dans la vie et nous faire penser que nous nous appuyons sur du solide sur du stable, ce qui est incontestablement bon pour notre équilibre personnel ? Nous entendions tous dans les institutions un discours qui faisait ritournelle : « Bien sur il y a le désir du jeune mais il y a aussi la réalité » sous entendu la réalité est du côté de ce que pensent les professionnels. Cela laisse entendre qu’il y aurait au moins deux conceptions de la réalité : une qui constituerait une donnée fiable, objectivée, et une autre qui serait plus floue non observable par les sens et qui serait l’objet des disciplines « psy »4. Si l’on ajoute à cela le couple observé-observateur on ajoute un double écueil supplémentaire dans l’écart entre la singularité d’un sujet, et l’illusion de la production d’une réalité qui, plus elle serait
« objectivante », plus elle aurait une chance de taper à coté. Cela dit je voudrais insister pour dire que même le concept freudien hybride de réalité psychique selon C.F. ne nous épargne pas de tomber dans le piège de faire consister une topique imaginaire entre un dedans et un dehors qui fait toujours les choux gras d’une psychologie à l’affut de confiner le sujet en le confondant avec son objet d’étude. Je soutiens donc avec C.F. que deux exemples objectent radicalement à une telle dérive fût-elle appelée scientifique : 1 ce sont les rêves et 2 c’est la psychose.
- Pour le rêve cela semble presque évident mais cela va mieux en le disant il ne concerne pas la réalité du quotidien même s’il y a dans un rêve des représentations des scènes de la vie quotidienne. Par exemple le rêve de la petite Anna Freud (fraise framboise flan, etc.) n’est pas une évocation de toutes ces bonnes choses auxquelles elle aspirerait, mais d’in interdit parental qui en limitait l’excès de consommation tout en soutenant le désir. Quant à la pensée tout court C.F. écrit : « S’imaginer que, par la pensée et afin de penser l’on puisse s’orienter exclusivement vers ce que l’on tient pour la réalité ce n’est pas penser. C’est au contraire imaginer que l’on est en train de penser. La réalité n’est donc pas celle que l’on croit avoir atteint par la pensée faute de penser. Elle est simplement une production de l’imagination, dont on veut ignorer qu’elle est créatrice de son objet. »5 Quant à la psychose comme nous le verrons « elle donne l’exemple d’un cas limite de la pensée qui n’est pas la copie subjective de la réalité objective ce qui donne à penser (et non d’imaginer) qu’en fait la pensée proprement dite ne dispose jamais d’une telle réalité objective et quelle n’en est jamais l’image, le modèle ou le reflet. »6 Le rêve écrit Freud dans la Traumdeutung a un sens qui excède au réalisme et vise l’accomplissement d’un désir et il faudra expliquer simplement que accomplissement dans le rêve correspond à une réalisation qui n’a aucun rapport avec la dite réalité7.
Revenons sur les thèses freudiennes à propos de cette notion de réalité psychique, qui se différencie à la fois du principe de la réalité comme continuation différée du principe du plaisir, ainsi que de l’épreuve de la réalité telle qu’elle figure dans l’article sur la Verneinung. Freud commence par une anecdote qui relate l’histoire d’un empereur romain qui fit exécuter un sujet de son empire parce que ce dernier avait rêvé qu’il avait assassiné l’imperator8 Il est évident que pour cet empereur le rêve signifiait ce qu’il montrait dans le contenu manifeste : une intention criminelle de la part du rêveur. Or Freud établit bien la distinction puisqu’il commente en citant la République de Platon : « Le vertueux se contente de rêver ce que le méchant fait dans la vie. » Et il conclut : « on est bien forcé de dire que la réalité psychique est une forme particulière qui ne doit pas être confondue avec la réalité physique »9 En même temps il conseille aux psychanalystes de s’abstenir de juger les dires ou les opinions des patients. Comme disait M. Silvestre chaque fois qu’un analysant nous fait part de son intention de tuer son père ou sa mère, le psychanalyste n’appelle pas le 17 (ou le 112). Évidemment la tentation pourrait exister de faire consister deux types de réalité une externe et une autre interne (psychique) mais il s’agit là d’une simplification trompeuse car ses deux types de réalité ne son pas opposables. Au contraire dit C.F. « la réalité psychique doit nécessairement être pensée comme ce lieu où doivent s’articuler et dialoguer deux formes basiques de réalité : la réalité empirique du monde sensible « extérieur » et sa réélaboration dans la vie fantasmatique.»10 Freud en abandonnant son hypothèse sur la « réalité » de la scène traumatique de séduction par le père ou un substitut de la figure paternelle appelée Neurotica il invente une réalité qui n’est pas « réaliste » car comme il précise il n’existe pas d’indice de réalité dans l’inconscient ni même dans le délire. Ce faisant, il introduit une première distinction entre vérité et exactitude, qui ne se réduit pas à une consistance équivalente à la réalité. Il s’agit principalement du fantasme, qui est autre chose qu’une invention pure et simple du sujet, dans la mesure ou il concerne non seulement sa relation à l’autre, mais une formation une construction où la fonction paternelle est concernée, même et surtout si tout cela demeure inconscient.
Suivons les pas de Freud à la lecture de ses deux articles écrits en 1924 sur Névrose et psychose et La perte de la réalité dans la névrose et la psychose afin de mieux l’enjeu de ce concept freudien. Il pose comme première thèse11 que « la névrose serait le résultat d’un conflit entre le moi et son ça, la psychose, elle l’issue analogue d’un trouble équivalent dans les relations entre le moi et le monde extérieur. » Il fait allusion à l’amentia de Maynert où « la confusion hallucinatoire aigue, forme extrême et grave ou bien le monde extérieur n’est pas du tout perçu ou bien la perception reste complètement inopérante. » « Le monde intérieur – lui même, » poursuit-il, « qui jusqu’alors, en qualité de copie du monde extérieur, représentait ce dernier, se voit retirer sa signification (investissement), le moi se crée autocratiquement un nouveau monde, extérieur et intérieur à la fois (…)ce nouveau monde est bâti suivant les désirs du ça, et le motif de cette rupture avec le monde extérieur, c’est que la réalité s’est refusée au désir d’une façon grave apparue comme intolérable. » il est remarquable que Freud associe l’investissement à la signification, et le déclenchement à un élément extérieur, à une sorte de refus dont la gravité est accentuée. L’idée qu’il a alors c’est qu’il s’agit d’une frustration venue du dehors, et que cette frustration concerne un désir infantile ; hypothèse certes trans – structurale. Il précisera néanmoins, que la folie est employée comme une pièce qu’on colle là où initialement s’était produite une faille dans la relation du moi au monde extérieur, et il termine ainsi : « Pour finir demandons nous quel peut être le mécanisme analogue à un refoulement per lequel le moi se détache du monde extérieur. » !!!
Dans la perte de la réalité dans le névrose et dans la psychose il décrit un mécanisme en deux temps, le premier qui coupe le moi de la réalité, et le second qui essaie de réparer les dégâts aux frais du ça. Ce second temps vise à compenser la perte de la réalité. Cette nouvelle réalité à la différence de celle qui est abandonnée est une réalité à laquelle on ne se heurte pas. Ainsi la névrose ne renie pas la réalité, elle veut simplement n’en rien savoir d’elle, tandis que la psychose la dénie et cherche à la remplacer. Ce qui est frappant dans cet écrit c’est que Freud présente la normalité comme un mixte du premier temps de la névrose et le deuxième temps de la psychose : « Ne pas dénier la réalité mais chercher à la modifier en travaillant sur le monde extérieur modalité alloplastique plutôt qu’autoplastique. » Enfin il admet un monde fantasmatique dans le cadre de la psychose comme dans la névrose à la différence près que dans la psychose le nouveau monde fantasmatique de la psychose veut se mettre à la place de la réalité extérieure. Pas de perte de la réalité sans substitut de celle
–ci donc dans les deux cas.
Du symptôme et de sa fonction dans la psychose
J’aurais pu donner un autre sous titre : qu’est-ce qu’on appelle symptôme dans le cas de la / des psychoses juste pour avoir un aperçu de la difficulté de la tâche car et c’est à titre d’exemple si l’on définissait le symptôme comme formation de compromis ou formation substitutive ou formation de conversion voire comme métaphore l’on pourrait honnêtement se poser la question si l’on a le droit d’appeler symptômes les phénomènes que l’on rencontre dans la/les psychose(s). Les manuels médicaux et psychiatriques en général ne rencontrent peut-être pas ce type de problème, mais un tour rapide fait apparaître des descriptifs en termes de classification sémiologique, de personnalité, de comportement, de rapport à la réalité, d’idées délirantes etc. autrement dit pas de quelque chose qui ait la consistance d’un symptôme et bien sur encore moins de symptôme au sens analytique du terme c’est à dire un symptôme complémenté par un analyste. Car ce n’est pas la symptomatologie de la psychose comme telle qui nous intéresse mais plutôt sa place dans le rapport entre le sujet et l’Autre dans la mesure où le premier élément à considérer c’est le symptôme comme émanation du sujet. Et comme dans tout symptôme nous rencontrons habituellement deux faces, dont l’une est celle de la souffrance – jouissance, et l’autre constituant un élément qui soutient le sujet dans son objection fondamentale à l’Autre et son savoir – jouissance. M. Silvestre avait une façon de considérer la question de la demande d’analyse d’un sujet psychotique qui me paraît toujours valable dans sa limpidité. L’on peut toujours se demander qu’est-ce qui pourrait pousser un sujet psychotique à demander à rencontrer un psychanalyste. M.S. disait simplement toute demande émane du sujet en est une manifestation. Elle suppose de fait une adresse, celle de l’analyste qui en l’interprétant donne la parole au sujet et non pas au prédicat ; Ce n’est pas à titre de psychotique qu’un sujet rencontre un analyste mais à titre de sujet, et de renverser la question l’on peut se demander comment se fait-il que les sujets psychotiques, non seulement arrivent à énoncer une demande mais aussi arrivent à s’engager dans une telle démarche et s’y tenir parfois pour de longues années. L’on dit souvent que le psychotique est celui qui a le savoir qui sait et donc comment peut-il se constituer un savoir supposé auquel l’hypothèse d’un sujet peut surgir. La forclusion du signifiant du Nom-du-Père pourrions nous nous demander ne constitue-t-elle pas un obstacle ? Eh bien non. C’est au contraire de cette forclusion que découle directement la demande d’analyse, car chaque sujet psychotique peut avoir à faire face à une signification en suspens qui peut s’avérer même menaçante pour lui. Et il s’avère contrairement aux croyances courantes que le sujet psychotique n’est pas celui qui sait. Nous ne devons pas confondre savoir et certitude, pas plus que croyance et certitude. Comme on ne peut pas greffer à volonté des signifiants l’on peut constater assez rapidement qu’un sujet psychotique, quand il affronte un phénomène élémentaire comme le retour d’un réel, il se trouve sans la médiation d’un savoir qui pourrait boucler le circuit de la signification. Il ne s’agit pas bien sur pour l’analyste ici de compléter quoi que ce soit, mais celui-ci peut constituer un relais par le biais de l’offre de parole, là ou le sujet se sent coupé séparé du circuit de la parole. Une autre crainte bien réelle celle-ci c’est que le sujet psychotique se mette à délirer. Je soupçonne qu’il y a une contamination d’une certaine prophylaxie psychiatrique qui traque toute possibilité de manifestation délirante comme critère pathognomonique de la psychose. Cependant le sujet n’a pas attendu le psychanalyste pour commencer à délirer, et si le commandement éthique lacanien de ne pas céder devant la psychose a un sens c’est que dans l’affrontement de son Autre le sujet est sommé de produire une réponse fût elle délirante, afin de suppléer par l’effet de signification à l’effet du trou forclusif. Il arrive parfois que le sujet ne puisse pas construire de délire « efficace » (métaphore délirante) ou bien que le délire ne suffise pas à localiser
la jouissance vers un autre persécuteur et alors les symptômes s’intensifient l’envahissent par de l’angoisse par des hallucinations par des voix qui s’adressent à lui. Ce déchainement de la jouissance ne permet pas au sujet de s’appuyer sur le fantasme qui inclut la problématique de la castration comme dans le cas de la névrose. Ainsi la jouissance fait dériver le sujet dans une errance en déconnectant complètement le réel du symbolique, le réel du sujet de la chaine signifiante.
La psychanalyse étant une pratique du traitement de la jouissance (avec ou sans fantasme), la question cruciale qui se pose est par quel biais le sujet pourra-t-il trouver à se loger dans le discours analytique afin de s’inventer, de bricoler même une suppléance, qui restaure son symptôme tout en le reliant à un transfert qui pare à la persécution ou à toute forme de retour envahissant de la jouissance.
Quelle est la fonction du Symptôme dans la-les psychoses ?
Comment problématiser cette vaste question tout en vous épargnant des développements trop longs et des répétitions trop souvent serinées et en même temps vous faire état de mon propre questionnement par rapport à des points théoriques qui ne me paraissent pas encore suffisamment élucidés
Commençons peut-être par résumer cette problématique en quelques points issus des thèses freudiennes, ainsi que de ce que nous apprend Lacan, depuis Freud et de par son propre enseignement.
Le statut privilégié du symptôme parmi toutes les formations de l’inconscient :
La structure du symptôme est homologue à celle de l’inconscient. Le symptôme a un sens, mais ne se réduit pas à une signification, ni forcement à une interprétation. Il n’est pas seulement formation de compromis entre pulsion et surmoi. Par conséquent il est signe de la division du sujet. Il est également doublement une formation substitutive : a. il est une métaphore (substitution d’un signifiant à un autre qui choit à la place du signifié par refoulement) b. Il est substitution d’une satisfaction qui n’a jamais eu lieu12.
Il est vérité ou formation de vérité (retour de vérité dans la faille d’un savoir. (Lacan).
Enfin il est également formation de défense dans la mesure ou il localise comme tel la jouissance (symptôme de conversion hystérique, symptôme – pensées chez l’obsessionnel, localisation spatiale de l’objet signifiant phobique dans la phobie.
Tout cela est valable pour la névrose mais la fonction du Σ dans la psychose ? Commençons par ce que nous pouvons poser. Pour Freud il n’y aucun doute qu’il y a formation de Σ dans la psychose (cf. Schreber) à la différence près que nous rencontrons les mêmes mécanismes que dans les névroses : condensation déplacement refoulement. Il existe quand même deux références spécifiques décrites par Freud : Le mécanisme de projection dans la paranoïa et le langage de l’organe dans la schizophrénie. Ainsi que les mécanismes hallucinatoires et autres phénomènes cliniques qui signent le retour dans le réel ce qui est rejeté du symbolique. Pour Lacan nous retiendrons trois fonctions différentes le symptôme métaphore mis en rapport avec la métaphore paternelle le symptôme comme nouage et le symptôme comme suppléance valables pour les névroses comme pour les psychoses nous pourrions ajouter volontiers le symptôme comme suppléant à l’inexistence du rapport sexuel une femme comme symptôme d’un homme P.B. parlera de Σ comme marqueur du non-rapport sexuel. Mais comme nous pouvons le constater malgré cet inventaire abrégé, des questions demeurent. Comment qualifier ce qui fait symptôme dans le cadre d’une psychose non déclenchée ? Quel est le statut du symptôme ou du bricolage inventé par le sujet psychotique lorsqu’il y arrive après déclenchement ?
Y a-t-il un lien entre les deux ?
Qu’en est il du délire comment peut on le ranger. Est-ce du côté du fantasme ou bien est-ce du côté du Σ Où bien ni tout à fait de l’un ou de l’autre. Une formation de l’inconscient ? de la défense ? En tous cas dans la paranoïa une tentative de localisation de la Jouissance incontestablement En 196613 Lacan définira la paranoïa ou psychose freudienne comme «identification de la jouissance au lieu de l’Autre.» Il définira par ailleurs comme symptôme l’idée de l’homosexualité délirante de Schreber que Freud considérait comme l’étiologie de la paranoïa. Last but non least le lien entre le symptôme et le père, là nous pouvons suivre dans la trajectoire de l’enseignement de Lacan de 1957 jusqu’à 1975 et au delà un renversement complet entre le symptôme comme signifié de l’Autre, s(A) effet de de l’incidence du père (réel) comme agent de la castration, en pasant par la métaphore comme effet de capitonnage par sa structure synchronique14 , au symptôme non pas comme suppléance du père mais de l’effet de métaphore paternelle. Voila donc un (nouveau) chantier pour faire la part des choses concernant le statut du symptôme, du fantasme, et du délire dans la psychose, ainsi que celle du lien à la réalité que nous ne pouvons me semble-t-il réduire simplement à la construction délirante aboutie ou pas.
Père et symptôme
S’appuyant sur la quatrième antinomie de Kant15 la réponse à savoir si le monde implique ou non un être nécessaire qui en soit la cause il répond que cet être depuis Frreud existe bien dans le cadre du transfert analytique et il s’appelle le symptôme qui se situe entre l’Autre, le lieu d’où s’origine la parole et le sujet et en tant que marqueur d’un réel i ldivise l’un et l’autre. Toute la question à partir de là consiste à savoir si le symptôme qui nomme le symbolique peut se substituer généralement à la capacité de nomination attirbuée initialement au père. C’est une perspective ouverta par la dernière partie de l’enseignement de Lacan où le Nom-du-Père devient un semblant dans la mesure ou «il produit au coeur de l’espace représentatif un vide non représentatif à l’instar d’un signifiant asémantique»16
Cette fonction de nomination est de première importance dans la mesure ou elle détermine la borroméanité soit le nouage des trois consistances avec le quatrième rond du Σ de sorte que si l’un des cercles se défait il libère les autres. Cette propriété permet également de distinguer les trois consistances. L’effet d nomination par le père suppose que le père ne puisse pas se nommer par lui- même, selon la loi du signifiant et que la filiation conditionnée par cette nomination n’opère, que si le fils ou la fille, nomme le père en tant qu’il ne peut être qu’un semblant. L’on sait depuis Lacan que c’est le père réel agent de la castration qui active la métaphore paternelle et produit la signification phallique à défaut de quoi la forclusion du Nom-du-Père laisse un trou du côté de la signification. Cela a des conséquences au niveau même de la réalité car la signification phallique permet de maintenir une assiette dans la réalité ce qui fait que par exemple nous nous sommes retrouvés ici pour travailler et nous ne sommes pas en train d’errer dan la ville en nous demandant ce qui nous arrive ou bien lorsqu’on entend parler de la tour Eiffel nous ne concluons pas que c’est de nous qu’on parle.
« Rien ne peut assurer au sujet qu’il n’est pas le signifié de l’Autre maternel sinon cette opération, métaphorique par laquelle ce signifié fait place au moyen de cette nomination du père par le père, à un évidemment de tout sens où émerge la signification du phallus, soit l’impossibilité d’être et d’avoir en même temps. »17
L’absence radicale de ce signifiant (jamais advenu à cette place) constituant la métaphore laisse l’opportunité d’une rencontre entre un signifiant « être père » un père comme sans raison18 et le sujet un abime s’ouvre où se produit le désarrimage des identifications. Ces identifications pouvaient jusque là donner l’impression d’une certaine stabilité du sujet une certaine assiette mais celle –ci reste précaire. Elle ne peut fonctionner que pour autant qu’une rencontre avec un signifiant de la paternité (Un-père ne vient pas en position tierce dans quelque relation de couple imaginaire α-α’19. Ces identifications imaginaires conformistes selon l’expression même de Lacan renvoient également à ce que Hélène Deutsch appelait personnalités « as if » comme si ce qui contrairement à quelques idées reçues n’ont rien à voir avec la catégorie du semblant à laquelle justement ces sujets n’ont pas accès.
Au fond une autre conséquence du non fonctionnement de la fonction phallique concerne la passivation du sujet dans son rapport à l’Autre. Même s’il se rend compte de cet effet, dans la relation à la mère par exemple, et alors que le sujet est tout à fait capable d’expliquer cette emprise il avoue son incapacité de s’en détacher sur tous les plans, ce n’est qu’en s’appuyant sur la relation transférentielle qu’il pourra éventuellement y faire face, ce qui bien entendu ouvre tout un chapitre d’autres questions qui se posent à partir de là.
Dans ce lien entre le Nom-du-Père et le symptôme nous ne saurions omettre de signaler une remarque de Pierre qui met en évidence une distinction qui me paraît inédite : elle concerne le fait que le Nom-du-Père concerne particulièrement la partie gauche du tableau de la sexuation alors que le symptôme renvoie à la partie droite là ou justement la fonction phallique tourne court quant il s’agit de rendre compte de l’espace de la jouissance féminine qui se caractérise comme non métrique. Nous avons donc un lien de corrélation entre Nom-du-Père et le tout phallique d’un côté, et le pas tout phallique du symptôme qui se vérifie dans l’expression « Tout mais pas ça. »
Suite à la question préliminaire ( transfert et structure)
Quelques mots sur le transfert et ce qui peut s’y greffer pour le sujet psychotique. Il est vrai que la question préliminaire s’achève sans réponse qui pourrait correspondre à une orientation du traitement de façon équivalente à cet autre texte princeps de la même époque qu’est la direction de la cure. Dans quelle mesure peut on parler par exemple de direction du traitement psychanalytique ou d’interprétation voire de maniement du transfert ? Dans la littérature nous avons toujours à faire surtout à des moments particuliers du genre de vignettes cliniques. Plus rarement à des suivis de cures qui généralement durent de longues années. Nous ne pouvons pas nous contenter du recueil des effets thérapeutiques, qui sont pourtant patents et se manifestent par la diminution jusqu’à l’arrêt des hospitalisations, dont la fréquence antérieure à la cure était parfois impressionnante. Pour ce qui concerne l’interprétation si l’on retient la thèse de Pierre Bruno qui pose que l’interprétation ne réussit qu’à ne pouvoir être attribuée ni à l’analysant, ni à l’analyste, il y a une parenté structurale avec un effet de sens réel, c’est à dire un effet de sens qui n’est pas joui par l’Autre. Dans la psychose encore plus que dans la névrose l’attribution subjective à l’Autre doit attirer encore plus notre attention de s’apparenter à un processus d’hallucination ou d’un délire. Peut-on soutenir alors que l’effet de sens réel comme conséquence d’un processus langagier comme le dit Lacan en tant qu’il ne re – présente pas mais qui présente, s’insérant dans la réalité comme un moment d’expansion du réel, puisse modifier rétroactivement le rapport du sujet à la réalité 20?
L’élément que P.B. pose comme constant dans la relation transférentielle avec le sujet psychotique et que le sujet puisse par le dit transfert s’assurer que l’Autre ne se dérobe pas à l’instar du Dieu Schrebérien : moment de déchirure pour le sujet qui déclenchait ce que Schreber appelait le miracle du hurlement, décrit par les cliniciens de l’époque comme une manifestation par des cris qui n’avaient plus grand chose d’humain. Le dilemme qui s’installe alors est que si l’Autre doit jouir pour ne pas se dérober, alors comme sujet je suis purement passivé par lui, ce que je refuse. Pour avancer quelques éléments de cette thèse de la non dérobade de l’Autre il faut rappeler un des premiers cas clinique de psychose rapporté en 1983 par M. Silvestre qui notait que le sujet en question lui téléphonait pour vérifier simplement s’il était bien là. Il faut dire que pour Lacan les catégories de la consistance et de l’existence sont loin d’être équivalentes ; Un Autre consistant équivaut à un Autre d’une ex-sistence qui se dérobe. De nombreux collègues auront constaté à partir de là que si le sujet psychotique s’avère réticent à parler clairement de toutes ses élucubrations délirantes ce n’est que pour protéger son analyste dans la mesure où, comme le dit P.B., c’est du non défaut de l’analysant que l’analyste demeurerait. Lacan parle de la duplicité de l’Autre dans son séminaire du 10/05/1977 « Cette notion d’Autre, je l’ai marquée dans un certain graphe d’une barre qui le rompt (A Barré.) Est-ce que ça veut dire que rompu, ça soit nié ? L’analyse à proprement parler énonce que l’Autre ne soit rien que cette duplicité. »
Par conséquent si l’Un existe au sens où il est réel (statut univoque), l’Autre à qui manque un Autre pour le garantir, n’est jamais pour le vivant parlêtre que la condition de l’énonciation de sa propre inexistence.
Il s’agit alors dans la psychose d’assumer (comme dans la névrose la duplicité de l’Autre, mais comment faire si le Nom-du-Père, index de cette duplicité n’est pas disponible ? La réponse de Pierre est que pour qu’il parvienne à la duplicité de l’Autre, le psychotique doit s’autoriser à se séparer de l’Autre sans que cela ait comme résultat que l’Autre se dérobe. Cela explique peut être ce phénomène qui est très fréquent de la poursuite d’une cure avec un autre psychanalyste après un certain nombre d’années avec un analyste précédent, sans préjuger de la qualité de l’un ou de l’autre des analystes qui se succèdent.
Enfin un espoir qui m’est cher et qui me laisse à ma faim serait que l’on puisse être éclairés pour toutes ces questions par des analysants psychotiques qui sont devenus analystes et qui ont fait la passe. Il faut dire que l’espoir meurt le dernier dans l’attente …
Dimitris Sakellariou 25 Novembre 2017