Associations impressionnistes
Auteur: SPERANDEO Jean-Pierre
Associations impressionnistes
J’ai nommé ce petit travail « associations impressionnistes » suite à quelques associations volatiles issues de lectures qui ont donné lieu à des tentatives de reformulation, pas forcément rigoureuses, de ce qui interroge régulièrement ma compréhension. Dans l’après coup il me semble que cela relève un peu de la « ré-invention de l’eau chaude » qui tourne pour partie autour de la répétition.
Dans ce premier temps la lecture de « Près d’elle, présence opaque présence intime » de François Julien m’a évoqué le rapport à la Chose. La visée de l’essai est une tentative de déchiffrement dans le rapport amoureux, du trop de la présence de l’a/Autre, qui s’installant, enliserait la relation amoureuse. Le versant qui a attiré mon attention est le détour qu’il fait par la peinture, la création pour étayer sa thèse : « La vocation de la représentation, autrement dit et notamment picturale, est de promouvoir la présence en la portant à la transparence. Car …. Pourquoi de Chardin à Cézanne continuer de figurer des poissons ou des pommes sur une toile cirée, si ce n’est qu’on les chargerait avant tout de cette mission ontologique ? … attraper en eux la présence que leur présence occulte » …. Pour y promouvoir du même élevé à son identité ». François julien ne doit pas être ignorant de Lacan et cette formulation appelle cette autre si connue quant à la sublimation qui « élèverait l’objet à la dignité de la chose ». Ainsi poursuit-il « …la présence imposée dans sa prétendue immédiateté, constituerait en fait l’obstacle, l’écran m’empêchant d’accéder à l’émergence de ce qui le fait exister ». Le « ce qui le fait exister » étant peut-être la Chose dont la présence trouve à se signaler dans l’œuvre, la création.
Je mettrais spontanément en lieu et place de cette présence qui ferait obstacle, l’Imaginaire contaminée à la Chose où se tiendrait le combustible intraitable du Réel. A partir de cette formule énigmatique « de l’objet élevé à la dignité de la chose » et après plusieurs tentatives même si elle en prend le contre-pied dans sa logique, je me suis bricolé cette acception de la sublimation comme élevant la Chose au pouvoir d’énigme du signifiant.
Cette formulation : « Pour ne pas laisser la présence faire écran on peut choisir de faire écran à la présence » évoque en premier lieu la présence, le désir, les interventions de l’analyste qui veille à ne pas faire écran à l’énonciation pour cheminer vers cette « expérience que quand il n’y a plus rien à dire, c’est précisément là que tout reste à dire » (Marie Josée Latour dans son travail sur et avec l’écrivain Philippe Forest). Ce qui favorise l’émergence des signifiants des-indexés de leur dimension imaginaire, le cheminement explorateur du patient pour qu’il en fasse son œuvre d’invention, devenant lui-même « peintre de son motif » au gré des « accidents » de la chaîne signifiante.
Confirmant la nature impressionniste, j’évoque quant à la Chose, le point de vue de Bacon sur la peinture abstraite : « on ne peint pas à partir de rien, on peint toujours à partir d’une image ». Ce qui ouvrirait sur une approche de la chose et de son « économie ». La première partie de ce que formule Bacon paraissant contradictoire, au regard de la psychanalyse » quant au rien. La seconde partie confirmant en creux, que c’est bien à partir du rien que peut se créer une image. Comme si le rien, en tant que fondement de la création pouvait être « l’antidote » à ce que recèlerait la chose comme absente, comme étrangère.
J’avais à m’expliquer plus avant avec cet énigmatique : « pour ne pas laisser la présence faire écran, faire écran à la présence ». Je prends le risque, dans cette tentative d’approche d’une « chose » qui n’existe, d’une part d’imaginaire et me réfère à un moment clinique quand l’angoisse extrême, la panique et paradoxalement l’impossibilité même de l’effondrement subjectif sont aux commandes d’une parole dont les signifiants en fuite ne font plus fonction de bords. Peut-être alors, faire en sorte que le rapport au « vide » ait une adresse ; écouter, pour que l’angoisse, la panique, l’impuissance puissent se dire, avec de ma part, quelques remarques, questions « satellites » pour tenir les bords, et que ce qui se révèle du rapport « annihilant » à la Chose et « l’a-chose » elle-même, puisse être à la fois, sur le « seuil », présente, « trou noir » agissant, mais aussi « tamponnée », contenue, pour que le piège ne se referme pas, et cesse un instant de « dissoudre » le sujet ». Avec la perspective peut-être, que ce moment suspendu puisse faire trace, s’inscrire ailleurs, dans un autre temps et un autre lieu, comme alternative momentanée au dé-nouage des coordonnées du sujet :
Le deuxième temps est issu d’une biographie et des échanges de Cézanne avec Emile Bernard sur son intimité et sa démarche picturale que Cézanne voulait toute de maîtrise. Sa vie était très agitée, douloureuse, faite de décompensations régulières, inféodée à une figure paternelle tyrannique au point qu’il lui cacha très longtemps la naissance de son fils, Paul. Il avait affaire à un réel et un imaginaire qui ne le laissait que très rarement en paix. Il est à noter que la seule figure transférentielle qui l’apaisait par son accueil était le peintre Pissaro avec qui s’était mis en place un échange de « savoirs » dans l’approche picturale. Le peintre Cézanne tendait par contre à éviter « l’accident », (que Bacon nommait « imagination technique »), L’accident, un autre nom de l ‘équivoque comme conséquence d’un « rendez-vous » impromptu avec le réel. Il pensait très très longuement chaque touche, valeur et couleur avant de les déposer sur la toile. Mais probablement a-t-il rencontré des accidents sinon serait-il « humain » ?
Il a donc inventé un savoir y faire pour que ce réel, en quelque sorte, se transforme en « extime » logeable et partageable au-delà des mots. Et par la même, entre doute constant et certitude de son génie il vise à élaborer une architecture, une théorie picturale, du symbolique donc, qui fut fondatrice de l’abstraction.
Ce qui m’a intrigué c’est ce qui pouvait éventuellement résonner dans le dispositif analytique du mécanisme en jeu dans, je cite « l’usage de la série qui vide le modèle ou le motif de son intérêt propre et le transforme en objet peinture. » et qui débarrassé de l’imitation (pente moïque peut-être ?) arriverai au « vrai » par l’autonomie de la forme.
« C’est à partir de la structure de fiction que s’énonce la vérité, que de son être même il va faire étoffe à la production » Lacan dans « L’acte psychanalytique » p 376. Comment dire mieux ce qu’est l’acte de création, de peindre ? Formalisation qui s’est associée au même instant avec ce qu’ont amené les impressionnistes au siècle débutant de l’objectivité à tout crin. Ils rendaient compte d’une vérité à leurs contemporains, qui l’ont très mal pris : ce que l’on regarde n’a rien à voir avec ce que l’on voit. La fiction des lumières et des couleurs déposées sur la toile rend compte de quelque chose d’autre, d’une vérité autre que celle d’un « même » de la réalité, rendu sur la toile Cézanne peignait, repeignait, et repeignait encore pommes, portraits, paysages comme des objets selon son point de vue : que « tout dans la nature se modèle selon la sphère, le cône, le cylindre » et qu’il fallait apprendre à peindre sur ces figures simples pour à partir de là, faire ce que l’on voudrait. Peindre à partir de « signes » pourrait-on dire, en refusant toute intention romantique, imaginaire.
Déplier plus avant et précisément ce que pourrait nous enseigner cette résonance éventuelle entre l’approche Cézannienne et le dispositif analytique est trop ardu pour moi, si ce n’est qu’une cure est aussi un chemin de répétition, une série de retours sur des événements, des souvenirs, des figures, des signifiants où l’on s’aperçoit que les cartes qui sortent et ressortent ont une face, un revers, une tranche, des coin écornées etc… suivant la façon dont ils s’associent et les signifiants auxquels ils s’associent dans le déchiffrage de l’histoire subjective. Ainsi dans ma cure, / après de multiples évocations, dans les temporalités et les déchiffrements, / le dépassement de l’identification à mon oncle que mon père m’avait donné en soutien, j’oserai dire en « soutane », amenant alors à une sorte de « défroquement » de cette construction du fantasme.
Picasso le dit mieux encore : « Quand on commence un tableau, on trouve souvent de jolies choses. On doit s’en défendre, détruire son tableau, le refaire plusieurs fois. A chaque destruction d’une belle trouvaille l’artiste ne la supprime pas, à vrai dire ; il la transforme, la condense, la rend plus substantielle ».
– « Présence opaque présence intime » de François Julien – – « Souvenirs de Paul Cézanne » d’Emile Bernard – – « Une biographie de Cézanne » par Bernard Fauconnier.