La passe à l’œuvre
Auteur: DELBOS Françoise
La passe à l’œuvre
La passe à l’œuvre
Françoise Delbos
“Non pas peindre ce qu’on voit, car on ne voit rien, mais peindre qu’on ne voit pas”.
(Claude Monet)
Lors de la procédure de la passe, le passant délivre un texte à chacun des passeurs, lesquels le restitue, d’aussi près que possible/impossible, aux membres du cartel de passe. On a donc deux textes qui se croisent, qui se recoupent, qui s’écartent plus ou moins sensiblement : à la croisée des mots, une fenêtre s’ouvre sur le réel en jeu pour ce passant. Par cette ouverture, cet écart maintenu, quelque chose passe : une passe est à l’œuvre. Se mettre à l’œuvre, c’est se mettre au travail. Et, de fait, une passe, à quelque place qu’on soit du dispositif (passant, passeur, cartellisant), on y travaille, et surtout, ça vous travaille, ça trace son chemin en vous.
Une œuvre, c’est aussi quelque chose qui a à voir avec un produit où du réel est cerné, bordé par des formes symboliques (l’œuvre poétique, littéraire, picturale, musicale, etc..) ce qui permet, par cela même, le partage de quelque chose d’éminemment singulier. Enfin, une œuvre est ce qui vous ouvre…en particulier à vous-même, et à l’insu de vous-même : qui vous déplace, vous fait vaciller, vous renouvelle dans vos savoirs et votre façon d’appréhender le monde.
Dans la procédure de la passe, on peut considérer qu’il s’agit de la mise en œuvre du désir de l’analyste. Une mise à l’épreuve ? Ou bien plutôt la preuve par l’acte qu’il y a bien de l’analyste, à ce moment-là.
De quoi s’agit-il du côté du passant ?
De témoigner de ce qui l’a amené ou précipité à vouloir occuper la position de l’analyste : l’émergence de ce désir inédit, le désir de l’analyste. C’est à la fois le récit d’une traversée et une lecture rétrospective de son parcours analytique pour tenter de cerner ce sur quoi il s’oriente dans sa pratique analytique, de repérer les coordonnées de ce passage à l’analyste. C’est par un acte, l’acte de s’engager dans la procédure et d’en témoigner, que le passant tente d’en rendre compte.
Ce témoignage est lui-même de l’ordre de la performance, soit une parole qui se fait acte, une parole qui fait ce qu’elle dit, dont le dire est équivalent à un faire. Aux assises de Deauville de l’EFP, J. Clavreul a souligné la valeur performative de la passe : ” Lacan a distingué compétence et performance en disant que la passe ne juge pas d’une compétence, mais d’une performance1 “. La compétence renvoie au langage, alors que la performance renvoie à l’usage de la parole : les paroles performatives constituent un acte, elles engagent quelque chose entre celui qui les énonce et celui qui les entend, « elles transforment le rapport intersubjectif, et sont de l’ordre de la parole. Une parole à quoi on devra se tenir »2
J. Clavreul, lors de son intervention, insiste : « De toute façon le psychanalyste est dans la compétence langagière qui est non seulement celle du discours psychanalytique mais celle de son patient. Mais ceci ne supprime nullement le fait que la performance est à renouveler non seulement pour chaque patient mais à tout moment de toute psychanalyse. Plutôt que de parler de la nécessité pour le psychanalyste de théoriser, d’inventer pour chaque patient, il serait plus modeste et plus fécond de dire qu’on n’échappe pas à la nécessité de la performance »3. Et il en conclut : « Pour en revenir à la passe, c’est évidemment d’une performance qu’il s’agit de juger, et ceci a toute son importance parce que le moment de conclure n’a pas du tout la même signification quand il s’agit de conclure sur une performance ou sur une compétence (…). L’opposition entre compétence et performance fait apparaître que le principe qui fonctionne dans la passe est tout différent de celui d’un examen de la Faculté »
Soit ça opère et ça produit un effet sur les passeurs (au-delà des signifiants qu’ils transmettent, ils sont aussi porteurs de cet effet-là) : comme l’acte analytique dans la cure : ça déplace, il y a un avant et un après. Soit ça n’opère pas, cela n’est pas passé, il n’y a pas eu rencontre : cela peut-être que le passant n’était pas dans le temps de la passe, ou bien qu’il y était mais que le trajet passant -passeur- cartel n’a pas constitué à ce moment le vecteur propice à la transmission de cette ouverture suscitée par l’acte du passant. Le passeur, quant à lui, est en position d’être une plaque sensible et une plaque tournante entre ce qu’il a entendu du passeur et ce qu’il dit au cartel : cette fonction cruciale n’est pas quelque chose qui s’appuie sur un savoir théorique de ce qu’est la passe, mais sur la position subjective où se trouve alors le passeur dans la cure, et qui fait qu’il a été désigné comme tel par son analyste. Il lui appartient de se laisser travailler, se laisser faire par ce qu’il
a entendu du passant.
Ainsi, lors d’un cartel de passe, l’un des passeurs, à la toute fin de son témoignage, marque un temps d’hésitation…interrogé par les membres du cartel, il livre non sans réticences un effet d’étrangeté, angoissant, survenu lors de son dernier entretien avec le passant, où une distorsion de sa perception visuelle évoquant un phénomène d’anamorphose l’a laissé pendant quelques instants dans une sorte de sidération. Le second passant, lui, souligne que la voix de ce passant chutait à chaque fin de phrase, ce qui l’obligeait parfois à le faire répéter. L’un et l’autre ont été frappés par ce surgissement d’un effet de réel se glissant, se faufilant entre les dits du passant. Chaque passeur a donc rencontré quelque chose de l’objet a qui lui était propre (voix qui chute, regard sous le mode de l’anamorphose) : le passant était bien, lui, dans cette position de supporter quelque chose du semblant d’objet, d’y être suffisamment désarrimé pour “savoir l’être”. (Cf. Lacan : “il sait être un rebut”)4.
Ce vide laissé par la chute de l’objet a qui le recouvrait est transmis au cartel de passe, avec l’effet de souffle et de dé-placement que celui-ci produit. Qu’il y ait deux passeurs est essentiel: les interstices du texte, l’entrecroisement des dits relatés par les passeurs créent une texture, une sorte de filet entre les mailles duquel un
dire qui fait acte peut arriver à se faufiler, à se faire entendre. Cet écart permet que quelque chose puisse passer.
Si dans cette mise en acte, il y a un déplacement au niveau des cartellisants, c’est que le passant est en position d’analyste : quelque chose (s’)est passé, un vide, un rien, un souffle, qui vient à s’écrire, à se cerner, se border par l’écriture (la peinture ? toute activité scripturale ? Ceci pose la question de la spécificité de l’écriture, qui met en jeu le réel de la voix et du trait et le relie au code, au symbolique afin que le lecteur à venir puisse s’en faire l’adresse.)
La fréquence des références à l’écriture et/ou à la lettre dans les interventions des AE récemment nommés nous rappelle la fonction littorale de l’écrit, qui vient border, cerner de symbolique le réel qui le troue.
Et si de l’acte analytique il n’y a pas d’auteur, car l’analyste de n’autorise que de ce “luimême” qu’il est devenu en fin de cure, soit un vide qui peut supporter d’accueillir le dépôt de l’objet du patient pour s’en faire le semblant, le savoir qui le guide est un savoir sans sujet5, soit ce dont Lacan indexe l’écrit6.
Les cartellisants, eux aussi, ont à se laisser travailler par ce qui est advenu de dire entre les dits croisés des passeurs. Cela nécessite une temporalité spécifique, prenant en compte les effets d’après-coup de ce qui a été entendu lors de la rencontre avec les passeurs, notamment au niveau des rêves, actes manqués, effets de surgissement du réel qui peuvent survenir de façon tout à fait bouleversante entre deux séances de travail du cartel de passe : il faut ce lieu pour en parler, l’élaborer, cerner ce qui est en jeu. Ce ne sont pas tant les cartellisants qui travaillent sur une passe, que cette passe là qui les travaille, de nuit comme de jour, à sa très singulière façon.
Les effets en sont incalculables, pour tous les acteurs de la procédure : passant, passeurs et cartellisants. Cet effet-là n’est pas une réflexion théorique, même si bien sûr il est nécessaire de tenter de rendre compte de ce qui s’est passé, de ne pas en rester à de l’ineffable, ce qui renverrait la procédure à une sorte d’expérience mystique. Le savoir référentiel reste présent mais se tient en réserve par rapport à ce qui vient se faire savoir dans les témoignages amenés par les passeurs.
La question est : que nous apprend ce passant ? Non pas sur lui, son histoire, ses signifiants, mais quant au réel qu’il a rencontré dans sa cure, et comment il va s’en servir pour s’orienter dans sa pratique, pour tenir une position d’analyste animée par ce désir si particulier? Dans ce temps de travail du cartel, chacun prend part à cette mise en œuvre commune qui aboutira, ou pas à la nomination d’un AE. Cette nomination est le fruit de ce travail collectif de tous les acteurs de la passe, elle vient boucler l’acte initié par le passant lorsqu’il s’engagé dans la procédure et porté, relayé par les passeurs et les cartellisants7. Car la nomination, elle, vient par surcroit ! Même si il n’y a pas nomination, l’expérience de la passe est une expérience irremplaçable, éclairante et enthousiasmante. La nomination signifie au passant ainsi qu’à la communauté analytique :” au cours de cette passe, il y a eu acte analytique” c.-à-d. transmission: non pas d’un savoir, mais de quelque chose qui nous a bousculé, donné le désir de savoir autrement. Quelque chose qui a introduit du différent, du souffle, une possibilité d’ouverture. (cf. Lacan :”(j’attends des AE)
qu’ils l’ouvrent!”)
Entre celui qui a initié l’acte de création et le récipiendaire est passé non pas quelque chose d’objectivable, mais un vide qui nous apprend, nous enseigne, nous déplace, qui permet que résonne en nous cet in-su, cet inouï que nous portons aussi, singulièrement. La nomination vient alors comme une sorte d’accusé de réception : oui, on a reçu quelque chose qui nous a ouvert, décomplété, dérangé. Il s’est bien passé de l’inattendu pour nous, on en prend acte, on en apprend, on renouvelle nos savoirs. Cette nomination-AR (Accusé de Réception) renvoie au passant non pas son propre message, mais le fait qu’un message a été reçu dans lequel quelque chose a porté. Ce quelque chose reste opaque, il est insu du passant, n’est pas identifiable, on ne peut que le cerner du trait de l’écriture qui borde ce vide, et les cartellisants doivent tenter de l’élaborer pour lui donner forme et écriture, pour le littoraliser. Les lettres d’AE vont accompagner l’ “aère ! ” de l’AR, elles sont une invitation à faire école, à l’ouvrir : « à toi d’œuvrer maintenant ! », comme à décompléter l’institution. Qu’est-ce que la nomination AE nomme ? Ce en quoi le passant a pu faire part, faire partage, transmettre quelque chose de son désir d’analyste : le petit bout de réel à quoi il s’est trouvé réduit à la fin de sa cure, lors de la chute de ses signifiants maitres, et ce en quoi il s’en est séparé, en même temps qu’il était confronté au fait que l’analyste, de ce bout de réel, n’en savait rien, qu’il n’était plus sujet supposé savoir, que de ce réel-là, on ne peut rien savoir, mais qu’on peut s’en servir, s’y appuyer pour s’en faire le semblant auprès d’un autre. Ce qui vient à être nommé là, c’est ce bout de réel, et non une personne. Ce en quoi, entre autre, la nomination ne peut être ni une validation ni une garantie, encore moins une reconnaissance professionnelle. Elle peut seulement indiquer que, pour cette passe là, ponctuellement, il y a eu effet d’acte analytique, effet de déplacement, et donc de fait un passant qui était à ce moment là en position de le produire, ce qui signifie que son parcours analytique l’y a conduit. A quoi sert la nomination dans la passe ? A rien, pour peu que ce rien soit le grain de sable, ou le poil à gratter, le coin qui empêche la fermeture de l’institution, et qu’il fasse contrepoids aux pouvoirs et savoirs établis, à ceux qui sont (ou que l’on met) en position de vous en boucher un coin. La passe, si ça ne sert à rien, ça sert le rien, ça le serre, ça sert à le maintenir, pour décompléter, pour conjurer la tentation récurrente de l’institution à se refermer en groupe.
S’il n’y avait pas nomination, mais simplement un retour, le passant non-nommé, le “passant passé”, pourrait aussi bien “faire école”, avec son style, mais il ne serait pas considéré par l’institution comme un point de singularité qui a fonction de la décompléter.
Le faire école
Le désir ne se transmet pas, il se suscite, se sollicite, se réveille chez celui qui consent à se laisser attraper par cette question des liens entre le Réel et la vérité et à en faire sa question, une question qu’il va traiter par ce que la psychanalyse comme praxis lui enseigne. D’autres choisissent l’art ou la science : l’un et l’autre ont également à voir avec le réel, avec des modes de transmission très différents. La psychanalyse est entre les deux, peut-être ; Lacan, comme Freud, tout au long de son enseignement a essayé de l’arrimer définitivement du côté de la science (“La formalisation mathématique est notre but, notre idéal.”8), mais la prise en compte de la Jouissance (dont ne s’occupe pas la science) l’a amené de plus en plus vers une tentative de construire ce qui se cerne dans et par l’Art (« Je ne suis pas pohâte assez… ») sans lâcher pour autant la volonté d’en rendre compte (le nœud bo, la topologie). Jusqu’à ce constat : « tel que maintenant j’en arrive à le penser, la psychanalyse est intransmissible. C’est bien ennuyeux. C’est bien ennuyeux que chaque psychanalyste soit forcé – puisqu’il faut bien qu’il y soit forcé- de réinventer la psychanalyse. » Et aussi : « Si j’ai dit à Lille que la passe m’avait déçu, c’est bien pour ça, pour le fait qu’il faille que chaque psychanalyste réinvente, d’après ce qu’il a réussi à retirer du fait d’avoir été un temps psychanalysant, que chaque psychanalyste réinvente la façon dont la psychanalyse peut durer »9.
C’est cette précarité qui fait que chaque passant fait un pari en s’engageant, à sa façon, pour d’autres, à reprendre à son compte la question de la transmission de la psychanalyse, à porter cette question avec ses modestes moyens et avec son style, comme l’Art perdure avec et par sa réinvention par chaque artiste.
Ce n’est que par ce bord singulier car propre à chaque sujet que se construit ce rapport si particulier à la psychanalyse comme pratique de l’inconscient. Pas sans quelques autres cependant : ceux qui ont transmis leurs œuvre, leurs écrits issus de leur expérience comme ceux qui cherchent aussi de leur côté et qui font communauté de recherche, de critique, de relance. Et en effet, l’école est un bord. Faire école, c’est ce tenir sur ce bord, lieu à la topologie étrange, qui concerne à la fois le plus intime du sujet comme chercheur toujours défaillant, et la communauté comme adresse incertaine. C’est une certaine façon de tenir le bord entre le singulier de l’expérience et l’adresse au collectif, à la communauté, de travailler, déplacer ce bord, de l’ex-poser, d’en faire une ligne de partage, en inventant, en cherchant, trouvant des manières de dire et de faire : autour de ce trou, de cette faille qui le travaille et le met au travail de trouver, de construire, d’inventer, le “passant passé” ose l’expérience de faire école, avec ses mots de passe, schibboleth ou sésame.
Je reprends cette citation de J.L.Nancy, qui me semble tout à fait convenir à ce qui est en jeu, à la fois dans la passe et dans la question de la transmission / réinvention de la psychanalyse : « La parole est communautaire à la mesure de sa singularité et singulière à la mesure de sa vérité de communauté. »10
Le dispositif de la passe ne serait- il pas un OuPsyPo, un ouvroir11 de psychanalyse potentielle ?
L’institution:
Le dispositif, la façon dont il fonctionne, et la question de la nomination qui en est l’aboutissement, sont emblématiques de ce qu’est la passe pour l’association qui la met en œuvre. Si la procédure de la passe a pour fonction d’évaluer, de vérifier que le passant est analyste, on risque un glissement vers ce qui serait de l’ordre du contrôle, de la garantie. Si la procédure de la passe est pensée comme le dispositif permettant d’apprendre quelque chose sur les questions de la fin de la cure et sur le désir de l’analyste, à partir de celui qui est dans ce temps-là, de celui qui via ses deux passeurs vient à témoigner, à transmettre quelque chose de son parcours analytique, de son désir et du désir de l’analyste, alors le cartel de passe est aussi un lieu d’école, soit un lieu de transmission et d’invention, où de l’inédit peut surgir: un lieu où l’inconscient se fait savoir, et peut rencontrer le “faire école”. (Remarque : qu’il y ait un effet d’école implique que le passant soit en position d’analyste, c’est-à-dire qu’il situe dans ce temps-là. Sinon, il ne se passe rien…) L’expérience de cartel de passe est formidablement enseignante, et ravive le savoir construit dans sa propre cure ainsi que le savoir construit à partir des textes psychanalytiques, séminaires, etc.…, tout en rappelant que le Savoir est troué, l’Autre barré, et qu’être analyste, c’est prendre le pari d’essayer de se tenir toujours sur ce bord, dans l’invention, la trouvaille… en même temps, elle permet aussi de privilégier la dimension analytique par rapport aux enjeux institutionnels, elle fournit un point d’appui pour s’orienter dans les méandres des difficultés de l’association. Elle permet de maintenir ouverte la béance par où du savoir, des bouts de savoir, peuvent advenir.
Donc, dans la mesure où on considère que la procédure de la passe est un lieu de transmission, d’enseignement, d’école, à nul autre pareil, il devrait être possible à quiconque (analyste) se sent prêt et en fait la demande, d’y avoir accès. Dans ce cas, il pourrait (devrait?) être ouvert à d’autres que les AE. (Alors que si on considérait que c’est un lieu où il s’agit de s’assurer qu’il y a bien du désir de l’analyste chez le passant, cela produirait une classe de “spécialistes” (par exemple les AE) chargé d’établir cette assurance, et contribuerait à faire de la procédure quelque chose de mystérieux, voire de sacralisé.) Pour autant, doit-il être ouvert à quiconque? Il faut cependant être passé par là, par ce vide du trou du savoir, pour pouvoir l’entendre, le repérer, pour le reconnaître « entre s(av)oir ».
Le dispositif de la passe est le propre d’une association : la façon dont elle le conçoit, c.-à-d. les supposés qui sous-tendent la place faite à la passe, et donc ce qu’elle engage d’ellemême à chaque nomination sont liés à sa conception de ce qu’est l’école, de ce qu’est la transmission /réinvention de la psychanalyse. D’où l’importance de ces questions. En effet, la façon dont une association définit ce qui pour elle est en jeu dans la procédure de la passe, ce qui motive la nomination AE ou pas peut être très différente d’une association à l’autre. Les témoignages des passants nommés sont différents selon qu’ils ont lieu dans tel ou tel lieu institutionnel : récit de vie et récit de parcours analytique entrelacés, construction de son propre cas avec quelquefois mathèmes à l’appui, ou tentative de détourer ce point de retournement dans le discours qui fait passage à l’analyste… selon que le propos du passant nommé s’inscrit dans un registre ou un autre se lit ce qui pour lui, est le lieu d’adresse de son
désir de faire école, et dans quelle mesure ce faire école sera inventif ou orthodoxe. “(…) la passe ne garantit rien, ce qui veut dire qu’elle est réversible si le rapport nouveau au savoir qu’elle inaugure n’est pas soutenu par un changement de discours dans l’association que le passant passé engage avec ses “frères”. Plus exactement, la passe étant à recommencer pour ne pas perdre son commencement, elle requiert, pour ce faire, un rapport nouveau. Lacan nous a frayé la voie de cette nécessaire attention à cette condition associative, jusqu’à ce point extrême de la dissolution. Dissoudre pour décoller”12
Le désir de l’analyste n’est jamais acquis, jamais pérenne : il n’y a rien qui puisse le garantir, on peut juste le constater quand il se manifeste par l’effet qu’il produit, par la coupure qu’il opère, par l’acte qu’il pose.
La passe fait question. Laissons cette question ouverte, car « la réponse est le malheur de la question13 ». La mettre à l’œuvre, cette question, en tant que toute œuvre se construit autour d’un vide qu’elle tente de cerner pour le maintenir ouvert, est une façon de s’en rendre responsable sans y répondre, de la porter sans la suturer.
1Assises de l’EFP, “L’expérience de la passe”, Deauville, 1978 paru dans Les lettres de l’Ecole, 1978, N° 23, Intervention de Clavreul 08/01/78, p169
2Idem
3Ibidem, p171.
4Lacan, Note italienne, Autres Ecrits (Ed. Seuil), p 309
5Séminaire L’acte psychanalytique : « dans l’inconscient, il s’agit d’un savoir sans sujet » (Séance du
17/01/68)
6Dans la séance du 09 avril 1974, il présente l’écrit comme permettant de se passer des mots pour en arriver à la lettre, afin d’éviter l’écueil du sens et pour, de ces lettres, en faire quelque chose. C’est dans cette même séance qu’il pose la formule de l’écrit comme savoir supposé sujet ; « l’écrit se définit avant tout d’une certaine fonction, dit-il, d’une place de bord ». Ce qui reprend son propos du 19 février 1974 : « tous nous inventons un truc pour combler le trou dans le réel. Là où il n’y a pas de rapport sexuel, ça fait trou-matisme. On invente. (…) Ce qui détermine, ce n’est même pas un savoir, c’est un dire. Ce n’est un savoir que parce que c’est un dire logiquement inscriptible. (…) Sans cette réflexion sur l’écrit, sans ce qui fait que le dire, ça vient à s’écrire, il n’y a pas moyen que je vous fasse sentir la dimension dont subsiste le savoir inconscient. (…) l’inconscient, ça ne découvre rien, puisqu’il n’y a rien à découvrir dans le Réel, puisqu’il y a un trou. Pour voir où est le trou, il faut voir le bord du Réel. »
7Brigitte Lemerer, Esquisse, contribution à une clinique de la passe. Revue Essaim N° 15, Eres 2005.
8J. Lacan, Le séminaire, Encore, p108, éd. Seuil 1973.
9Assises de l’EFP, “L’expérience de la passe”, Deauville, 1978 paru dans Les lettres de l’Ecole, 1978, N° 23, p180
10Jean-Luc Nancy, La communauté désoeuvrée, Christian Bourgeois, p 171
11Ouvroir : lieu réservé aux travaux faits en commun dans un couvent (Dictionnaire Hachette, 2016)
12P. Bruno, La passe, PUM, 2003 p 34
13M. Blanchot, L’entretien infini.
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