Le papa de Simon
Auteur: JEAN Marie
Le papa de Simon
Nous entamons pour la quatrième année consécutive notre travail à Castres. Je dis « nous » car les interventions qui sont proposées naissent d’un travail à deux. Je voudrais ici remercier mon collègue et ami Christian Cros qui soutient aussi la charge de ces séances de travail.
Le déroulé en est simple. Chacun de nous propose un texte dont le travail d’écriture en amont se fait indépendamment. Chacun à son tour en fait la lecture. Cela donne lieu à des discussions avec tous, discussions qui entrainent des échanges et des interrogations. L’idée étant que tous les participants puissent intervenir qu’ils connaissent ou non, qu’ils sachent ou non manier les concepts psychanalytiques. L’idée étant que chacun puisse intervenir de sa place puisque, de par sa présence même, il dit son intérêt pour l’inconscient. Il s’agit de maintenir des moments d’ouvertures, d’échanges, de questionnements communs, sur ce qui nous intéresse particulièrement ; c’est-à-dire, sur ce qu’engendrent la découverte Freudienne et l’enseignement de Lacan, dans la clinique du un par un, mais, aussi, sur ce qui de la clinique de chacun, en expérience ou en pratique, peut venir contribuer à étoffer la théorie. Il s’agit également de maintenir sur le tranchant de la parole la contradiction pour que nos pensées ne s’enlisent pas dans une compréhension signifiante.
Les thèmes qui sont choisis peuvent paraitre bien classiques et sembler être souvent ressassés !
Certes, ils le sont ! Je vous en donne l’aperçu.
Pour initier ce travail, la première année en 2016, nous avons abordé « l’Angoisse, l’Agressivité et…l’Amour », et avons posé une question : « Comment la psychanalyse s’en saisit dans l’expérience de la cure ? ». Ces trois occurrences de la condition d’homme sont au cœur des préoccupations actuelles, tout autant par leur omniprésence dans le monde moderne que par leur absence. Nous faisons l’hypothèse que les tentatives de rejet et d’effacement de leur statut constituant du sujet, provoquent non seulement des ravages dans l’humain mais également déclenchent un retour, dans le réel, de violence et de haine.
En 2017, nous avons travaillé autour de « la question du père ». Il a été alors important de trouver des points d’appuis à partir desquels il serait possible de dégager un chemin, d’établir un lien entre la fonction de la parole et la fonction du père. Il s’agit d’interroger les effets sensibles et les accidents manifestes de cet enchaînement dans le monde actuel. De poser l’hypothèse que, ce qui doit être inscrit dans la loi des hommes (dans le code civil en somme), doit l’être parce que sa transmission est inopérante dans le langage nous oblige à faire un détour par sa fonction. De soutenir que le père a une fonction dans l’inscription de la loi nous oblige à considérer sa place. C’est sur le tranchant du langage que se pose donc la question du père en psychanalyse. Le lien entre ces deux fonctions – celle de la parole et celle du père – est actuellement mis à mal : la parole est disqualifiée, le père est défaillant.
En 2018, le titre des interventions autour du père c’est transformé en un titre-question : « Que devient le père ? », essayant ainsi décaler le père imaginaire ou biologique de sa fonction. C’est de ce travail dont je vais parler aujourd’hui en l’abordant à partir d’une nouvelle de Guy de Maupassant « le papa de Simon ».
Enfin, pour cette année, nous avons choisi comme intitulé « névrose et perversion : de nouvelles formes ? » ce qui promet un travail à venir.
Alors, comme dit précédemment, les thèmes choisis, l’angoisse, l’agressivité, l’amour, le père, la névrose, la perversion, peuvent paraitre habituels. Pour autant nous restons seulement dans la veine de ce qui nous regarde et de ce qui nous intéresse en tant que cliniciens. Dès que la discussion s’installe, il apparaît que ces concepts Freudiens, re-conceptualisés et enrichis par Lacan, tournent en boucle dans les pratiques. D’ailleurs, lors des échanges, l’expérience de chacun en la matière pointe toujours le bout de son nez et donne du grain à moudre et du fil à retordre aux exposés théoriques préparés. Un mot encore sur la série qu’ils représentent. Il me semble, dans l’après coup, pouvoir dire que nous avons commencé par les affects (peut-être par la clinique ?), par les affects qui font parfois entamer un travail analytique et qui surgissent durant la cure. Cette réflexion nous a guidés vers la fonction de la parole et la fonction du père, sans lesquelles il est difficile de se repérer dans ce que nous pensons explorer cette nouvelle année, et qui est, la structure.
Le point de départ de mon travail des deux dernières années à Castres a été une nouvelle de Guy de Maupassant intitulée : « le papa de Simon ». Je ne connaissais pas cette nouvelle avant qu’une étudiante de l’université du Mirail ne la cite dans son mémoire de M1. Elle travaillait sur les rapports entre mères et enfants (mères violées et enfants de viols) lors des massacres des Tutsis au Rwanda. Ces enfants sont le fruit des ennemis jurés, les hommes hutus violant les femmes tutsis pour disséminer leur groupe ethnique ce qui a laissé nombre d’entre elles et nombre de leurs enfants sans aucune appartenance. Le titre de ce mémoire était : « à qui appartiens-tu ? ». L’étudiante reprenait là la question qui était posée à ces enfants issus de viol pour déterminer s’ils étaient du côté tutsis ou du côté hutus et elle interrogeait de cette façon la place du père. J’étais présente à cette soutenance en tant qu’assesseur. J’ai été interpellée par quelque évidence que pouvait refléter l’écrit de Guy de Maupassant. Ce n’est que plus tard et pour être plus précise lorsque cette intervention a été repoussée pour cause familiale du samedi d’octobre à aujourd’hui que j’ai réalisé ce qui m’avait poussé à me saisir de la question du père à partir de ce texte. Il y a quelques temps j’étais moi-même étudiante au Mirail. En Master 1 j’ai suivi le séminaire de Pierre Bruno qui portait sur la question du double et de la fonction de l’objet a. Je me souviens de son travail à partir du « Horla », autre nouvelle de Guy de Maupassant. Bien sûr je me souvenais de ces années d’études durant lesquelles je peux dire aujourd’hui que je n’en comprenais pas grand-chose mais je savais que c’était important et que cela me regardait. Aujourd’hui j’en extrais le précieux de l’histoire : c’est de rappeler ce qui a pu germer alors pour pouvoir surgir dans l’après. Je tenais à le souligner alors qu’il est question actuellement d’écarter les psychanalystes des sphères universitaires et de tant d’autres !
Revenons à la nouvelle de Guy de Maupassant « le papa de Simon ».
Ce texte « le papa de Simon » est paru dans la revue « la réforme politique, littéraire, philosophique, scientifique et économique du 1er décembre 1879 ; le résumé en est donné ainsi : « « Le papa de Simon » est une nouvelle réaliste publiée en 1879 dans laquelle l’auteur nous emmène à la campagne et nous fait rencontrer des personnages simples : des écoliers, le petit Simon, la maman célibataire, la Blanchotte, et l’ouvrier Philippe. Un jour les enfants de l’école s’en prennent au petit Simon parce qu’il n’a pas de père. Leur comportement n’est que le reflet de ce que pensent leurs mères : la Blanchotte s’est livrée à un homme sans être mariée, et c’est honteux. Cette situation rend Simon très triste. Heureusement il croise la route de Philippe, un homme bon qui choisit de ne pas s’arrêter au qu’en dira-t-ton et sait analyser la situation avec son cœur. ». C’est une façon de rendre compte de cette courte nouvelle et j’aimerai aller au-delà de l’histoire et tenter de comprendre comment le petit Simon va se débrouiller avec son histoire, son roman familial, et, se construire un père.
Midi finissait de sonner. La porte de l’école s’ouvrit, et les gamins se précipitèrent en se bousculant pour sortir plus vite. Mais au lieu de se disperser rapidement et de rentrer dîner, comme ils le faisaient chaque jour, ils s’arrêtèrent à quelques pas, se réunirent par groupes et se mirent à chuchoter.
C’est que, ce matin-là, Simon, le fils de la Blanchotte, était venu à la classe pour la première fois.
Tous avaient entendu parler de la Blanchotte dans leurs familles ; et quoiqu’on lui fît bon accueil en public, les mères la traitaient entre elles avec une sorte de compassion un peu méprisante qui avait gagné les enfants sans qu’ils sussent du tout pourquoi.
Quant à Simon ils ne le connaissaient pas, car il ne sortait jamais, et il ne galopinait point avec eux dans les rues du village ou sur les bords de la rivière. Aussi ne l’aimaient-ils guère ; et c’était avec une certaine joie, mêlée d’un étonnement considérable, qu’ils avaient accueilli et qu’ils s’étaient répétés l’un à l’autre cette parole dit par un gars de quatorze ou quinze ans qui paraissait en savoir long tant il clignait finement des yeux :
« Vous savez… Simon…eh bien, il n’a pas de papa. »
Le fils de la Blanchotte parut à son tour sur le seuil de l’école. Il avait sept ou huit ans. Il était un peu pâlot, très propre avec l’air timide, presque gauche. Il s’en retournait chez sa mère quand les groupes de ses camarades, chuchotant toujours en le regardant avec les yeux malins et cruels des enfants qui méditent un mauvais coup, l’entourèrent peu à peu et finirent par l’enfermer tout à fait. Il restait là, planté au milieu d’eux, surpris et embarrassé, sans comprendre ce qu’on allait lui faire. Mais le gars qui avait apporté la nouvelle, enorgueilli du succès obtenu déjà, lui demanda :
« Comment t’appelles-tu, toi ? » Il répondit : « Simon.
-Simon quoi, » reprit l’autre
L’enfant répéta tout confus : « Simon »
Le gars lui cria : « On s’appelle Simon quelque chose … c’est pas un nom, ça … Simon. » Et lui, prêt à pleurer, répondit pour la troisième fois :
« Je m’appelle Simon. »
Les galopins se mirent à rire. Le gars triomphant éleva la voix : « Vous voyez bien qu’il n’a pas de papa. »
Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse, – un garçon qui n’a pas de papa ; – ils le regardaient comme un phénomène, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-là de leurs mères pour la Blanchotte. ».
C’est ainsi que débute la nouvelle. Un enfant qui n’a pas de père ? Est-ce possible ? Comment Simon va se saisir de cette fonction du père et comment va-t-il s’en servir ? L’auteur va à partir de cet état dérouler la construction qui va opérer pour Simon.
- C’est principalement le non nom, le manque de nom, qui est prégnant dans ce passage. Le nom pour cet enfant est « Simon », pas « Simon tout court », ou « Simon je ne sais pas », ou encore « Simon et le nom de sa mère », mais « Simon ». Le patronyme qui inscrit de manière symbolique tout un chacun dans la lignée « je suis le fils de, je suis la fille de … » est manquant. L’auteur a dû avoir une conscience aigüe de ce manque puisque, dans la nouvelle, la mère n’a pas non plus de patronyme ni d’ailleurs de prénom, et, Philippe, l’ouvrier qui va soutenir cette place du père pour Simon, Philippe s’appelle Philippe Remy deux prénoms accolés qui viennent faire résonner ce manque et inscrit dans une logique de redoublement ce qui l’écarte de son nom.
- Deuxième chose qui est important de souligner, c’est l’importance de ce qui se transmet sans pour autant avoir été dit. Guy de Maupassant écrit : « Tous avaient entendu parler de la Blanchotte dans leurs familles ; et quoiqu’on lui fît bon accueil en public, les mères la traitaient entre elles avec une sorte de compassion un peu méprisante qui avait gagné les enfants sans qu’ils sussent pourquoi. ». Cet insu est malgré tout compris et entendu par les enfants. Les signifiants transportent un autre sens que leur signification première. Cette transmission par le signifiant, par le symbolique, met en exergue le désir de la mère et n’est pas sans effet sur celui de l’enfant. Autrement dit cet insu est non seulement lié aux effets de signifiant mais aussi au désir de l’autre maternel.
- Nous en arrivons à la question du père et au comment Simon va se débrouiller avec cette question. La tentative de l’enfant qui se confronte aux autres enfants à ceux qui lui font sentir ce manque sera de trouver un autre semblable, un qui se trouverait dans la même situation que lui. « Quant à Simon, il s’était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait comme atterré par un désastre irréparable. Il cherchait à s’expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur répondre, et démentir cette chose affreuse qu’il n’avait pas de papa. Enfin, livide, il, leur cria à tout hasard : « Si j’en ai un. –Où est-il ? » demanda le gars. Simon se tut : il ne savait pas. Les enfants riaient, très excités ; et ces fils des champs, plus proches des bêtes, éprouvaient le besoin cruel, qui pousse les poules d’une basse-cour à achever l’une d’entre elles aussitôt qu’elle est blessée. Simon avisa tout à coup un petit voisin, le fils d’une veuve qu’il avait toujours vu, comme lui-même tout seul avec sa mère. « Et toi non plus, dit-il, tu n’as pas de papa.
–Si, répondit l’autre, j’en ai un. –Où est-il ? riposta Simon. –Il est mort, déclara l’enfant avec une fierté superbe, il est au cimetière mon papa. ». Peu importe comment est le père : mort/vivant/gentil/méchant/présent/absent, sa fonction opère au-delà de ce qu’il est. La fonction du père inscrit le sujet dans la loi, dans le symbolique et l’arrime au signifiant, au langage. Simon est hors la loi : « Ils se bousculaient, écrit Guy de Maupassant, … en se serrant de plus en plus comme si eux, les légitimes, eussent voulu étouffer dans une pression celui qui était hors la loi. ».
Simon va passer par la violence : « Simon le saisit à deux mains aux cheveux et se mit à lui cribler les jambes de coup de pied, pendant qu’il lui mordait la joue cruellement. ». Puis l’écroulement : « Ils étaient plus fort que lui, ils l’auraient battu et il ne pouvait point leur répondre, car il sentait bien que c’était vrai qu’il n’avait pas de papa. Plein d’orgueil, il essaya pendant quelques secondes de lutter contre les larmes qui l’étranglaient. Il eut une suffocation, puis, sans cris, il se mit à pleurer par grands sanglots qui le secouèrent précipitamment. ».
La rage ensuite. « Une rage l’affola. Il y avait des pierres sous ses pieds. Il les ramassa et, de toutes ses forces, les lança contre ses bourreaux. ».
Puis viendra, la disparition : « Je vais me noyer parce que je n’ai point de papa. » ; « Des frissons lui passaient dans les membres ; il se mit à genoux et récita sa prière comme avant de s’endormir. Mais il ne put l’achever car des sanglots lui revinrent si pressés, si tumultueux qu’ils l’envahirent tout entier. Il ne pensait plus ; il ne voyait plus rien autour de lui et il n’était occupé qu’à pleurer. ». Son inscription dans le monde semble impossible. Le suicide devient alors l’unique façon pour le sujet de réaliser une inscription définitivement symbolique.
Au final, la rencontre avec l’autre secourable, le nebenmesch freudien, va lui ouvrir la voie pour sortir de cet état de détresse. « Qu’est ce qui te fait donc tant de chagrin, mon bonhomme ? » ; « Il répondit avec des larmes plein les yeux et plein la gorge : « Ils m’ont battu … parce que … je … je … n’ai pas … de papa …pas de papa. – Comment, dit l’homme en souriant, mais tout le monde en a un. L’enfant repris péniblement au milieu des spasmes de son chagrin : « Moi … moi… je n’en ai pas. ».
Peut se mettre en place alors la construction du père. A la demande : « Voulez-vous être mon papa ? » arrive la réponse « Mais oui, je veux bien. ». Ce père reste un père-sans nom pour lequel l’identification de l’enfant-sans-nom est possible. L’histoire aurait pu se terminer ainsi, après tout l’enfant a trouvé un père. Mais non, l’auteur insiste. Cela ne suffit pas. Il faut aussi que ce soit un père désirant envers la mère : « Tu n’es pas mon papa tout à fait parce que tu n’es pas le mari de maman. » et non seulement, mais aussi accepté dans la communauté des hommes : « Le petit à la Blanchotte courba la tête et s’en alla rêver du côté de la forge au père Loizon, où travaillait Philippe. Cette forge était comme ensevelie sous des arbres. Il y faisait très sombre ; seule, la lueur rouge d’un foyer formidable éclairait par grands reflets cinq forgerons aux bras nus qui frappaient sur leurs enclumes avec un terrible fracas. Ils se tenaient debout, enflammés comme des démons, les yeux fixés sur le fer ardent qu’ils torturaient ; et leur lourde pensée montait et retombait avec leurs marteaux. Simon entra sans être vu et alla tout doucement tirer son ami par la manche. Celui-ci se retourna. Soudain le travail s’interrompit, et tous les hommes regardèrent, très attentifs. Alors, au milieu de ce silence inaccoutumé, monta la petite voix frêle de Simon. « Dis donc, Philippe, le gars à la Michaude qui m’a conté tout à l’heure que tu n’étais pas mon papa tout à fait. — Pourquoi ça ? » demanda l’ouvrier. L’enfant répondit avec toute sa naïveté : « Parce que tu n’es pas le mari de maman. ». Personne ne rit. Philippe resta debout, appuyant son front sur le dos de ses grosses mains que supportait le manche de son marteau dressé sur l’enclume. Il rêvait. Ses quatre compagnons le regardaient et, tout petit entre ces géants, Simon, anxieux, attendait. Tout à coup, un des forgerons, répondant à la pensée de tous, dit à Philippe : « C’est tout de même une bonne et brave fille que la Blanchotte, et vaillante et rangée malgré son malheur, et qui serait une digne femme pour un honnête homme. »
Fin de la construction ou l’avènement du nom : « « Mon papa, dit-il d’une voix claire, c’est Philippe Remy, le forgeron, et il a promis qu’il tirerait les oreilles à tous ceux qui me feraient du mal. » Cette fois, personne ne rit plus, car on le connaissait bien ce
Philippe Remy, le forgeron, et c’était un papa celui-là, dont tout le monde eût été fier. »
Dans la clinique, il n’est pas rare de se confronter à la question du père. Les cinq psychanalyses laissées par Freud font toutes états d’un père. Un père jouisseur pour Dora, un père autoritaire pour Schreiber, un père qui n’est pas à la hauteur pour le petit Hans, un père cruel pour l’homme au rat, un père dépressif pour l’homme aux loups … Cette distinction du père, à laquelle s’attache Freud, le place dans une position d’exception, position différente à travers chaque cas clinique ou plutôt à travers chaque structure. Hystérique, paranoïaque, phobique. Mais aussi, il en donnera d’autres versions comme par exemple dans « psychologie des foules et analyse du moi » texte où le père et sa fonction sont affirmés particulièrement lorsqu’il s’agit de l’identification. Pour le petit Simon, dans la nouvelle de Guy de Maupassant, c’est un père rêvé et construit, issu et partie prenante du roman familial, auquel l’identification est possible. Il reste dans la fonction symbolique de celui qui nomme, de celui qui, nommé « père » par l’enfant, nomme en retour celui-ci : « tu es le fils de ou la fille de », créant ainsi un lien d’appartenance à un groupe, groupe qui devient alors le socle de la loi, de l’interdit de l’inceste. Pour Freud c’est le père de la horde, le père jouisseur de toutes les femelles, celui qui chasse les mâles qui viendraient les lui disputer. C’est le père jouisseur celui qu’il faut tuer pour passer de l’état de nature à l’état de culture. C’est le père qui donne le nom à l’enfant et c’est l’enfant qui donne son amour au père. C’est ainsi que Freud parle de la première identification. Celle que Lacan épinglera dans un de ses derniers séminaires « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre » de 1976-1977 en ces termes « l’identification auquel il [Freud] réserve – je ne sais pas bien pourquoi – la qualification d’amour. Amour, c’est la qualification qu’il donne à l’identification au père ; [la deuxième identification de participation c’est-à-dire l’identification hystérique, la troisième : identification au trait unaire sans que l’amour intervienne. La quatrième identification : l’identification au symptôme fondant l’au-delà de l’inconscient freudien.].
Cette construction du père, proposé par Guy de Maupassant ne serait-elle pas une solution trouvée par le sujet pour répondre aux conditions nécessaires pour que l’humain puisse vivre en communauté ? Pour que l’humain puisse passer de l’état de nature à l’état de culture ? La solution serait donc celle du père, celle de l’amour pour le père, ce père étant objet de la première identification fondant le lien social. Cependant, cette construction qui met en avant l’amour du père, l’amour adressé au père, s’accroche au père symbolique, celui de la loi, et au père imaginaire, celui du contingent. Elle laisse le sujet en prise avec le manque et la privation : le manque de la part de jouissance qu’il doit abandonner pour participer à la communauté des hommes et la privation de l’objet qu’il pense pouvoir obtenir pour colmater sa division. Alors je ne sais pas encore bien le dire, mais j’ai dans l’idée que c’est ce qui est mis à mal actuellement : le refus de renoncer à la jouissance d’un côté et la croyance en l’objet possible de l’autre, ces deux mouvements projetant le sujet dans le discours capitaliste.
Marie Jean, Toulouse le 7 décembre 2019