Malaise dans les institutions
Auteur: SAKELLARIOU Dimitris
Malaise dans les institutions
Constat général
Nous ne pouvons plus douter du malaise généralisé qui s’est progressivement installé au moins depuis deux ou trois décennies dans le rapport entre les citoyens et les institutions, à la fois sur le plan social, politique et humain, principalement en France et en Europe mais aussi un peu partout dans le monde. Dans notre pays, la fracture entre les citoyens et les instances représentatives est devenue une véritable crevasse qui s’étend dans les rapports de la population avec les corps intermédiaires, les partis politiques et les institutions en général.
À l’échelle des institutions de soin et du médico-social, un changement de paradigme s’est fait jour quant à l’administration des établissements publics ou associatifs, suivant en cela le prototype commercial de gestion dans la production des marchandises. Nous pouvons quasiment dater le grand tournant avec l’introduction du « cheval de Troie » des programmes qualité, où l’incitation de « faire mieux avec moins » a transformé complètement les relations aux usagers, mais aussi entre professionnels et directions ; la disparition progressive des équipes techniques composées jadis de médecins, psychologues, A.S. et rééducateurs, en est un signe flagrant. Mais il y a pire…
Situation de l’après-guerre
Dans la foulée de la période après-guerre, des expériences originales de prises en charge des patients psychiatriques, ainsi que la naissance du secteur, avaient eu lieu. Différents lieux institutionnels se sont constitués, inspirés par l’enseignement et la pratique de la thérapie institutionnelle, et pariant sur des pratiques inédites de soins fondées sur l’engagement du désir même de ceux qui les initiaient. Ils ont modifié la démarche de l’approche et de l’accompagnement des patients envahis par des phénomènes psychiques invalidants. La majorité de ces patients a pu trouver des modalités d’inscription dans le lien social – dans l’ensemble correctes – et une intégration auprès des populations environnantes ou plus lointaines, au sein de ce qu’on appelait déjà des lieux de vie.
Ces accompagnements originaux ont fait rupture avec l’idée que l’espace qu’un sujet peut habiter a une consistance métrique. Comme disait Pierre Bruno, « le sujet (psychanalytique) n’appartient à personne ». Il échappe à toute tentative de corsetage, y compris par lui-même. Il suit les chemins de traverse plutôt que les grilles d’un DSM qui tentent de le cerner par des critères d’hygiène psychique et de styles de vie étatsuniens.
Directives mises en place par les gouvernements
Nous avons assisté à la mise en place des plans quinquennaux successifs pour les hôpitaux et à la restructuration des organismes de la santé, fomentés par les gouvernements successifs, dans un but évident, bien qu’inavouable, de réglementer et gérer les établissements publics et/ou associatifs comme des entreprises destinées à intégrer un fonctionnement du type libéral. Le management a progressivement échappé à la responsabilité médicale et psychologique, au profit des cadres supérieurs administratifs et autres directions régionales de santé.
La politique des « économies visant au rétablissement des comptes de la Sécurité Sociale » feint d’oublier que cet argent est issu des cotisations salariales, autrement dit il s’agit d’un capital social par principe, hors spéculation et logique du profit. Depuis la dernière guerre mondiale, la France a constitué un modèle à suivre sur le plan de la couverture sociale, à la fois pour la qualité et l’accès aux soins des usagers cotisants et leur famille.
Nous avons assisté à la mise en place des directives dites « de bonnes pratiques » qui abolissaient progressivement toute possibilité d’orienter le travail clinique en articulation avec un travail collectif coordonné, en suivant le sujet dans ses chemins de traverse. Les praticiens de toutes disciplines étaient sommés de produire des tâches administratives au détriment de la présence auprès des patients, du suivi en coopération avec les familles, et surtout du seul lieu de rencontre habitable entre praticiens et sujet corrélé au patient : le lieu du transfert, car « l’étendue » d’un sujet est topologique et non métrique.
Bien que la vertu du transfert analytique ne fut pas contestée officiellement, sa pratique aura été contrée dans de nombreux établissements car son degré de compliance n’a pas été jugé compatible avec la logique ordo-libérale de commandement et bien des consignes transmises verticalement par la hiérarchie.
Témoignage d’une expérience à contre-courant
Pourtant, dans certains cas, grâce au travail des équipes orienté par le discours analytique, il a été possible de mener des expériences institutionnelles dont nous pouvons tirer quelques enseignements.
Nous pouvons témoigner à propos d’une expérience dans un hôpital périphérique près de Toulouse où nous avons pu, à la faveur d’une « restructuration », proposer et mettre en place des modalités de travail à partir des dispositifs orientés par la clinique du sujet, orientation adoptée au sein des équipes sous la forme du « travail à plusieurs ». Les effets de ce travail collectif ont été, selon l’avis de tous les praticiens impliqués, dans l’ensemble favorables aux jeunes patients et à leur familles.
Nous avions ensemble fait la preuve qu’une pratique s’appuyant sur le discours analytique était possible, avec des résultats positifs sur le plan des actions menées. Cette expérience a même eu une conséquence inattendue quand un cadre de santé s’est emparé, lors d’un de nos nombreux échanges, du syntagme « La clinique, c’est la qualité ». Ce syntagme a fait le tour de l’établissement et est devenu un cheval de bataille que le cadre de santé n’a pas hésité à enfourcher. Ce qui a eu comme effet, entre autres, d’avoir…la paix nécessaire pour travailler avec toutes les équipes du secteur, soit la majorité des professionnels.
Cette expérience se continue dans une certaine mesure avec les professionnels qui y travaillent, même s’ils rencontrent de plus en plus d’obstacles de la direction.
Retour sur le sujet
Si le sujet ne vit et ne se déplace que par des chemins de traverse, si son espace n’est point métrique mais topologique, s’il n’y a de rencontre d’un sujet et de réalisation de travail que dans l’espace de transfert, il convient de le soutenir en assurant en même temps l’espace du transfert, y compris au sein des dispositifs inventés dans ce but.
Si cela permet de sortir les praticiens de leur solitude pesante face à des directions qui n’ont aucune idée du travail spécifique et de la singularité de chaque sujet, n’est-il pas légitime d’inventer un rassemblement entre cliniciens qui partagent ces interrogations ? Avec l’idée que, sans désir, point de possibilité d’orienter un travail clinique ou social ! Ne serait-ce pas là une opportunité de démontrer, et soutenir en acte, qu’un (le seul peut-être) remède dans notre ère post-moderne, face au malaise dans les institutions, passe par la tentative d’articuler la logique et la clinique du sujet par le biais du discours analytique, seul capable d’émerger, au moins le temps d’un changement de discours.
Proposition d’une réflexion collective
Nous pourrions jeter les bases de la constitution d’un relais à toutes ces questions, collectivement, lors de notre prochaine rencontre ouverte à tous les professionnels, sans exclusive, le Samedi 13 Avril à 10 heures à la salle Osète au Cercle Duranti.
Pour le Collectif Psychanalyse et Politique
Dimitris Sakellariou
Le 2 avril 2019