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Passe, nomination et titre

Françoise Delbos

Rien ne peut faire garantie de ce qu’il y ait de l’analyste : ni titre, ni nomination, ni cooptation, ni diplôme, ni quoi que ce soit. C’est en effet à chaque fois, pour chaque analysant, qu’il y a pari, pari que de l’analyste soit à l’oeuvre.

Mais de différencier titre et nomination permet de rendre compte plus facilement, je crois, des embrouilles dans ces questions.

La nomination AE, qui porte sur un point de réel qui a pu être transmis par le passant via les passeurs, est ou devrait être pérenne, et n’est pas la même chose que le titre d’AE, qui peut être transitoire (cela dépend des associations).

La nomination est ce qu’au terme d’un travail collectif le cartel signifie au passant : “dans ce que tu nous as transmis via tes passeurs, dans ce que nous en avons entendu, quelque chose a opéré, qui a eu un effet sur nous, qui a fait acte : pour que cela ait eu lieu, c’est qu’à ce moment-là, tu étais bien en position d’analyste ; ce vide dont tu témoignes et sur lequel tu t’es appuyé pour que de l’acte en émerge, ce vide que tu as rencontré au terme de ton parcours analytique et que tu tentes de cerner en t’engageant dans la passe, nous avons décidé de le nommer, c.-à-d. d’en faire écriture, lettre : AE. Cette nomination porte sur ce point de réel, elle t’est singulière”. Rien d’autre n’a eu lieu que le lieu, pourrait-on dire en paraphrasant Mallarmé : le dispositif a permis cette rencontre, ponctuelle, et la nomination vient juste en rendre compte, elle ne délivre aucun certificat d’aptitude : peut-être que dans les 6 mois à venir, ou les 15 jours, ou les 5 minutes, le passant nommé ne sera plus dans cette position là (surtout s’il s’endort sur ce qu’il croit à tort être des lauriers!). Mais qu’il y ait eu nomination, écriture, est ineffaçable, ce pourquoi je dis pérenne : ce terme ne désigne pas que le passant nommé AE soit toujours en position d’analyste, mais que nomination il y a eu à telle date. Nomination qui ne lui confère ni autorité, ni garantie. Par exemple, on peut dire que tel individu a un jour écrit un magnifique poème, il a été poète ce jour là, et même si dès le lendemain et le restant de sa vie il écrit des vers de mirliton, il reste que ce poème a été écrit, qui a eu un effet d’ouverture, de déplacement sur ceux qui en ont eu connaissance et qui ont pu, dans ce poème, trouver à loger quelque chose de leur propre réel.

Le passant qui apprend que de sa passe a résulté une nomination peut s’y croire, ça ne change rien, ça montre juste qu’il n’a pas bien saisi à quel point ce n’est pas sa personne qui est nommée ( on serait alors dans le “nommé-à”), mais ce quelque chose à quoi il s’est trouvé réduit au terme de son parcours analytique, ce dénuement/ dénouement auquel il est arrivé et qui a permis que de l’acte analytique puisse se produire, dans cette procédure en chicane incluant passant, passeurs et cartellisants¹. La nomination est la trace, le tracé de cet acte, c’est un passage à l’écriture (R-S). La trace reste, alors que l’ensemble du parcours est ponctuel et contingent (ces passeurs-là, ce cartel-là). Il peut aussi ne pas y avoir de nomination, sans que pour autant le passant soit désavoué dans l’authenticité de son parcours, voire de son expérience (sauf s’il n’est pas du tout dans ce temps de la passe), de la même façon qu’une performance artistique peut être un flop magistral, parce que quelque chose n’est pas passé, ne s’est pas passé, soit du fait du médium employé, soit du fait que cela n’a pas rencontré le public, soit du fait que l’artiste n’était pas ce jour-là en coïncidence avec ce qu’il cherchait à transmettre.

La nomination est donc la réponse que fait le cartel au passant, c’est du côté du singulier.

Puis le cartel rend public le fait qu’il y a eu nomination, c.-à-d. qu’elle fait savoir aux membres de l’association qu’à un nom propre (Untel) a été lié une nomination AE (qui donc ne fait pas garantie). De cette annonce, l’association s’empare pour délivrer un titre d’AE, signifiant ainsi : de Untel, nous, association qui avons fourni le dispositif de passe, attendons quelque chose pour les 6 mois, 1 an ou 15 jours à venir. Là encore, ce titre ne fait pas garantie, il souligne seulement l’espoir que l’association met dans le fait que, de la nomination qui a eu lieu dans la procédure de la passe, un savoir nouveau, inédit, puisse lui en revenir.

C’est une invite faite au passant-passé-nommé à faire école, à oeuvrer pour la psychanalyse (je dirais ça comme ça plutôt que “pour l’association”, même si en l’occurrence c’est l’association qui s’offre à recevoir le dépôt de l’élaboration du passant nommé).

Délivrer un titre n’est pas la même chose que nommer, on n’est pas sur les mêmes registres.

Délivrer un titre engage l’associatif : on attend quelque chose, pendant un temps déterminé, de telle personne.

Nommer AE, c’est boucler l’acte initié par un passant, c’est en prendre acte, c’est dire : oui, là il y a du désir de l’analyste, on en a entendu quelque chose, à lui maintenant d’en soutenir la gageure, et de faire école, que ce faire école s’inscrive dans l’association dont le dispositif de passe est issu, ou ailleurs (sur son lieu de travail institutionnel, dans tel ou telle séminaire ou conférence, etc)… AE signifie Analyste de l’Ecole, pas Analyste du Pari de Lacan ou de l’ECF, ou Analyste des Forums, ou Analyste de l’EPSF, ou que sais-je encore.

Le titre correspond à ce qu’un lieu associatif attend d’un AE qui vient d’être nommé, la nomination signe l’engagement pris par le passant à faire école. Donc, pour me résumer :

– pas de garantie, ni du côté du titre, ni du côté de la nomination.

– la nomination est pérenne, comme une cicatrice, une trace, une écriture, du fait que quelque

chose s’est passé ce jour-là, un point c’est tout : ça ne permet en rien de conclure pour les jours, les mois, les années qui vont suivre.

– c’est le titre d’AE qui fait le lien entre le dispositif et l’association, il est issu de l’association (et non plus du cartel : dans un temps second par rapport à la nomination par le cartel), avec les attentes et les limites de temps qu’elle se définit. Le titre ne confère ni autorité ni pouvoir quelconque, il n’est qu’une invite au travail, et signe que de cette personne (ce Untel, singularisé au sein des membres de l’association par ce tire et donc la décomplétant), on attend qu’elle se mette à l’oeuvre.

J’ajouterais que, à supposer que le titre ne porte que sur, mettons, 2 ans, ça ne devrait pas empêcher de travailler la 3° année ! Ni les suivantes ! Et si pas de nomination, et donc pas de titre, le passant passé peut quand même travailler, tenter de faire école à sa façon : rien ne le lui interdit !